DAVID EPSTON, LA NARRATIVE 2.0

P1110525Les 19, 20 et 21 mars, David Epston a donné une Master Class de qualité exceptionnelle à Bordeaux.

Pour tous ceux qui étaient présents, il y aura un avant et un après. Le thème  en était “réinventer le futur des pratiques narratives”, et David a présenté toute une variété d’idées, de techniques et de pistes radicalement nouvelles. Il nous a vraiment emmenés à des endroits où nous n’aurions pas imaginé aller, vers une refondation complète des pratiques narratives, à laquelle lui et Michael White réfléchissaient avant la mort prématurée de Michael.
Ceci est un espace réservé aux renarrations, reflets, réflexions, partages, inspirations, retours des participants. Pour y publier librement, il vous suffit de rajouter un commentaire, chaque contribution sera donc sous forme d’un commentaire différent.
Car pour refléter la richesse, la puissance et la poésie de ces 3 jours, rien ne vaut le miroir à mille facettes d’une communauté réunie !

10 réflexions au sujet de « DAVID EPSTON, LA NARRATIVE 2.0 »

  1. Retour vers le futur !

    Participer à ce séminaire Epstonien c’était accepter de vivre un retour vers le futur de la narrative :

    Nous avons tous embarqué dans une DeLorean avec comme conducteur son fabuleux concepteur : David. A son bord nous sommes d’abord retournés sur les traces historiques de la narrative, au moment de la rencontre entre Michael White et David où une étincelle de génie et de respect s’est produite pour ne plus jamais s’éteindre. Nous avons fait ensuite des allers-retours entre le passé de David , avec son père et ses apéro éducatifs ou avec sa première famille qu’il devait “soigner”. Des bonds gigantesques vers l’avenir ont suivis, avec la pratique des témoins intérieurs, qui permet à la personne qui accompagne de retrouver de l’espoir pour son client et de lui retransmettre !

    Il y avait d’autres personnes avec nous à bord de cette DeLorean c’était les bonnes idées ! Elles étaient présentes à chacun des moments de ce voyage. Un scribe de bonnes idées qui devait les noter pour ne pas qu’elles se perdent dans l’espace-temps. Une des idées qui avait le plus plus à David était cette métaphore du retour vers le futur , il avait demandé à ce qu’elle soit notée comme une “Very Good Idea” et avait largement sourit à son évocation. Il était certainement conscient de l’importance de nous faire faire ce voyage avec lui et il tenait à ce que tout le monde reste dans la DeLorean même quand il y avait des turbulences …

    Cependant voyager en DeLorean demande un peu plus que des baskets intemporelles , cela demande une certaine dose de lâcher-prise , une confiance certaine en son concepteur , on ne peut pas prévoir où l’on sera dans cinq minutes , dans quel territoire , en train d’explorer quelle technique ou en train d’écouter quelle histoire …

    Ne pas se reposer , sur rien , et surtout pas sur ses acquis !

    Le voyage en DeLorean permet de se re-inventer et pour ceci il faut bousculer ce qui est établi , se mettre dans l’inconfortable , dans l’inconnu. Il faut même si nécessaire créer de nouveaux mots , car selon David les nouveaux mots apportent de nouvelles histoires et de nouveau moyens d’accéder à des territoires inconnus.

    Les bonnes idées qui voyageaient avec nous , nous ont appris qu’elles avaient besoin de temps pour prendre vie , pour germer jour après jour dans l’esprit des hommes qui cherchent.

    D’avoir été le scribe des bonne idées m’a permis de ne rien louper de ce voyage et de voir que David dans toute sa modestie n’a souhaité que je note uniquement celles qui provenaient du groupe. Ce sont celles du retour vers le futur et celle de Rosenhan (Un individu sain dans des lieux qui ne le sont pas) pour lesquelles il m’a fait signe !

    Les bonnes idées ne s’arrêtent pas la : le fait de l’avoir suivi ce voyage rempli de liberté et d’amour a inévitablement provoqué des milliers d’idées pour la narrative et pour chacun d’entre nous !

    Pour ma part je repars en ayant également appliqué ce retour vers le futur pour moi-même , en espérant que ma pratique devienne elle aussi une pratique toujours en renouvellement et surtout adaptée aux besoins du futur !

    Merci à tout ce groupe de voyageurs de l’extrême

    et surtout à tous les copilotes de la Fabrique : Elizabeth ,Catherine , Dina, Kate et Pierre qui ont rendu ce voyage possible …

    Et merci à David pour sa générosité

    Bises

    Lydie

  2. (Débarquée dans un) Centre sacré où l’on honore les ancêtres maoris, en anglais, là où, l’on enseigne les thérapies narratives dans les Universités de psychologie … Transmettre, Questionner toujours, Lire, Rendre l’influence transparente, Observer, Pêcher, Nourrir, Construire, Créer, Inventer, Honorer, Permettre de vivre …
    David, ce sont les connaissances, la générosité, la rigueur, la curiosité, la joie, la créativité, la persévérance, la liberté ; David, celui qui « fait circuler l’idée comme une balle dans une équipe … », avec rythme, dans l’enchainement, alors que son savoir est bien différent de celui rangé dans une bibliothèque !
    Une vague de fonds, puissante, indescriptible.
    David nous a permis de rencontrer des « chercheurs de vérité », son père, Rain …Michael White, « à travers les histoires que tu racontes sur lui », avec émotion.
    Accompagner la « migration d’identité »,
    Flâner avec l’intention de trouver une autre histoire,
    Véritables surfaces réfléchissantes : Qui ?? les cartes ? Nous ? Le témoin intérieur ? David ?

    L’araignée rouge a laissé la vie gagner.

    Merci.

  3. De quoi est faite la fascination ? Lorsque l’on sort de ces trois journées en compagnie de David Epston, cette question survient naturellement. Les qualificatifs fusèrent : « tourbillonnant », ai-je dit. « Virevoltant », me fut-il répondu. De fait David Epston ne laissait jamais nos pensées s’installer devant quelque paysage que nous aurions voulu contempler à loisir. Il nous a entrainé dans une inlassable randonnée, secouant toute velléité de se poser, de s’appuyer sur quelque acquis, de penser qu’un chant pourrait être achevé avant que quelque autre ne s’engage. « Poème symphonique » est l’expression qui me vient. Des thèmes s’enchaînent et se répondent, tels des chants et des contre-chants, repris magistralement sur une tonalité tantôt véhémente, tantôt imaginative, tantôt attentive, mais toujours généreuse et sensible.

    L’histoire de la pensée narrative, racontée par un de ses acteurs principaux, fut l’un de ces thèmes entendus sur tous les registres : la nostalgie de l’ami parti, mais aussi la vigueur et l’intensité des luttes de deux créateurs décidés, unis dès leur première rencontre et qui se transmettaient l’un à l’autre, aussitôt qu’elles avaient pris la forme de phrases intelligibles, toutes leurs idées. Cet exemple n’est-il pas unique ? Nous savons bien, ayant reçu à deux reprises l’enseignement de David ou ayant lu « Down under et up over », qu’il n’était pas le second d’un chef de file inspiré. L’inspiration et le génie se sont rencontrés. Ils ont décidé de se donner la main et de ne jamais rivaliser entre eux, reconnaissant dès le premier instant leur fraternité.

    N’est-ce qu’un détail ? Je ne le pense pas. Ils nous enseignent de quelle manière une pensée juste, même si elle s’oppose à toutes les autorités constituées, peut se développer à partir d’un état embryonnaire et se répandre, en démontrant pas à pas comment chaque personne qu’elle approche ou qui l’approche, peut transformer sa vie dans un sens qui lui convienne. Ils nous apprennent à partager, à porter à la connaissance des autres, sans calculer ni spéculer, nos expériences uniques et nos idées précieuses.

    David Epston nous a encouragés à ne pas nous revêtir de l’armure de la confidentialité : « demandez le à vos clients », nous suggère-t-il. « Vous verrez que, non seulement ils accepteront que vous communiquiez leur cas, mais de plus ils seront fiers d’apprendre que, grâce à leur exemple, nos pratiques progresseront. » Je paraphrase, mais bienvenue à la citation exacte, si quelqu’un l’a notée.

    David a aussi bousculé l’idée de s’opposer à la suggestion d’une piste à notre client : « Vous vous dirigez vers lui munis de tout ce que la vie vous a appris, de tout ce qu’elle vous a permis de comprendre. » L’émotion avec laquelle ces mots furent prononcés se répandit sur la salle. Elle disait aussi qu’il n’entendait pas davantage que notre propre émotion dût s’absenter du lieu de notre pratique. C’est grâce à son souffle que nos mots se renforcent au point que les inutiles défenses désertent la conversation.

    Un merveilleux hasard à mis sous mes yeux ce matin ce passage de Michael White : « Dans une part très significative de mon travail, il s’agit de faciliter l’expression de certains aspects de l’expérience vécue qui furent négligés jusque là. Il s’agit aussi de reformuler d’autres moments de la vie à partir de schémas de pensée alternatifs. Alors inévitablement, à partir du moment où différents aspects du vécu sont privilégiés et vécus à nouveau, ce travail est fortement émouvant. Au cours de la thérapie, comme le vécu détermine le choix des mots et que les mots donnent au vécu une forme et puis une autre, la réponse sensible de toutes les parties prenantes à l’interaction thérapeutique peut être d’une grande intensité. » (Re-authoring lives, Interviews & Essay, Dulwich, p.20)

    Nous sommes nombreux à pouvoir dire qu’ils ont changé nos vies. Merci à eux.

    Kate, Elizabeth, Catherine, Pierre, merci d’avoir permis ce grand moment.

  4. J’ai beaucoup aimé l’idée que Michael et David aient d’abord eu envie ne pas donner de nom à ce qu’ils faisaient. J’aurais aimé savoir pourquoi. Je trouve que l’expression approche ou pratique “narrative” est une description tellement réductrice de l’ensemble des pratiques se référant à cette approche dans le monde. Et puis, pas de nom, pas de couverture tirée à soi, pas de recherche de pureté, de vérité, d’absolu. Liberté et créativité au contraire, adaptation à des cultures et des contextes locaux, découverte incessante de nouveaux territoires du possible. Je me dis que ce devait être leur idée, qui s’est heurtée à la nécessité d’en parler. Comment nommer quelque chose sans le figer ?

    J’ai aussi cherché le “unique outcome” de Goffman, avec l’envie de remonter à la source. C’est une expression qu’il n’utilise qu’une fois j’ai l’impression, dans l’introduction d’un des essais d’Asiles, son ouvrage sur les institutions totalitaires, pour expliquer comment il compte traiter dans cet essai du patient mental. Voici une traduction du passage, trouvée dans la thèse de doctorat d’Audrey Parron, 9 décembre 2011, Toulouse 2 Le Mirail.

    “Le terme de carrière est généralement réservé à l’entreprise de celui qui entend profiter des possibilités de promotion qu’offre toute profession respectable. Mais il est aussi employé dans une acceptation plus large, pour qualifier le contexte social dans lequel se déroule la vie de tout individu. On se place alors dans l’histoire naturelle, c’est-à-dire que l’on néglige les simples événements (unique outcomes dans le texte anglais) pour s’attacher aux modifications durables, assez importantes pour être considérées comme fondamentales et communes à tous les membres d’une catégorie sociale, même si elles affectent séparément chacun d’entre eux. De ce point de vue, la carrière ne saurait être dite brillante ou décevante pas plus qu’elle ne saurait être considérée comme une réussite ou un échec. (…)

    Je traduirais personnellement de plus en plus “unique outcome” par “fait singulier” (“exception” donnant malgré tout, il me semble, une excellente métaphore de ce que Michael et David voulaient dire). Un fait singulier, une issue singulière, quelque chose dans le discours ou la personne qui fait qu’on sursaute, qu’on s’étonne, qu’on ne comprend plus, qu’on aimerait en savoir plus, qui nous fait sourire, qui nous amuse, nous intéresse tout d’un coup, etc.

  5. Hello Pierre,

    J’ai fermé les yeux pour laisser venir les images de ces trois jours dans ma mémoire et celle qui est apparue en premier est ce geste répété par David à plusieurs reprises, qui accompagnait parfois un moment de prise de recul, de concentration, de réflexion ou les trois en même temps (va savoir?) : se passer la main à plat sur la tête de bas en haut , depuis le sommet du front jusqu’au sommet du crâne. Pourquoi cette image ? J’ai imaginé que ce geste était comme un vestige, celui d’une époque où sous la même main trônait la chevelure fournie d’un jeune contestataire engagé des années 60.

    Ces trois jours furent l’occasion de me rapprocher de la propre histoire de David et Michael dans leur rapport avec la grande histoire des Pratiques Narratives. Ainsi naissent les mythes et d’en être témoin m’a donné le sentiment d’être privilégié.

    Autre exemple, la description du David Epston qui se livrait à une pêche métaphorique dans cette bibliothèque. Etat d’esprit : celui du pêcheur qui sait pourquoi il part pêcher, pour se nourrir et nourrir les autres, qui sait ce qu’il espère pêcher, pourquoi il lance son filet à tel endroit plutôt qu’à tel autre, et qui attend patiemment, curieux de savoir quelle espèce de poisson il ramènera dans ses filets.

    Le David Epston contestataire chevelu des années 60 avait remarqué que les traitements psychiatriques administrés aux patients causaient plus de désagréments que de bénéfices. Au contraire de la majorité des psychiatres, il refusait d’accepter l’évidence qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de les administrer. Comment et par quoi les remplacer ? Partir ailleurs, aller pêcher des idées dans une mer différente, celle de l’anthropologie, d’où au début des années 80 il ramènera dans ses filets « A Crack in the Mirror: Reflexive Perspectives in Anthropology» et les prémisses de la cérémonie définitionnelle.

    Le geste de passer sa main sur son crâne et le plaisir d’aller pêcher dans d’autres eaux. Mon dernier souvenir sera la révision de la traduction du verbe anglais to loiter. J’avais pris l’habitude de la traduction : flâner, s’attarder, prendre le temps d’observer, etc. La mise au point de David fut très aidante. L’image par laquelle j’ai remplacé la nécessaire flânerie est celle du repérage lent et minutieux auquel il convient de procéder, par exemple celui auquel on se livre avant un cambriolage quand on est un Gentleman cambrioleur du genre Arsène Lupin.

    D’autres moments ont capté mon attention. Pas nécessairement des moments agréables d’ailleurs. Mais quand on hisse un filet lancé en mer, il faut savoir accepter tout ce qui s’y trouve. C’est pourquoi le plus important restera l’occasion de cette rencontre avec David. Bravo et merci à toutes les personnes de la Fabrique qui par leur courage, leur persévérance, leur audace, leur énergie, leur temps et leurs espoirs l’ont rendue possible.

    A la prochaine !
    Stéphane

  6. En plus de tout ce qui vient d’être dit, j’ai eu l’impression que David nous a beaucoup parlé de posture et de la responsabilité de celui qui pose les questions. « Toute question mène la personne quelque part. C’est exigeant de les faire penser à des choses auxquelles ils n’ont jamais pensé. C’est de notre responsabilité de poser une question dont la personne pourrait avoir la réponse, sinon c’est une question qui humilie. Mettre dans nos questions un peu de guide pour aider la personne à répondre »…
    Ce que je retiens également, particulièrement à ce stade de ma pratique, c’est l’invitation qu’il nous fait à réfléchir et à analyser constamment notre pratique. « Ne pas avoir peur d’enregistrer les rencontres, les visionner régulièrement, retranscrire. Revoir, revoir, sans pitié. Quand vous revenez de vos explorations, ramenez vos expériences pour permettre à d’autres de voyager ». David nous a confié que quand il assistait à une séance avec Michael White, Michael lui demandait ensuite « Qu’est-ce que tu m’as vu faire de différent ? Quelle influence j’ai eu sur ce qui s’est passé ? »

    Un grand merci à Elizabeth Feld et Catherine Mengelle pour 3 jours de traduction qui ont permis de rendre accessible à tous les mots de David.

  7. Je n’ai jamais aimé ni su lire une carte, j’ai toujours voyagé le nez au vent, aimant me perdre pour mieux me retrouver, laissant mon intuition m’indiquer la route à suivre à la croisée des chemins.
    Mais j’ai toujours dessiné mes carnets de voyage. Grand merci à David Epston qui nous encourage aujourd’hui à découvrir de nouveaux territoires et à dessiner nos propres cartes.
    Apprendre à cartographier nos propres expériences est un enseignement riche et précieux pour nous permettre d’évoluer dans nos pratiques. Merci pour nous avoir fait vivre en direct live, un travail de recherche, de créativité , toujours sur le chemin de la rencontre et du partage.
    Laure

  8. Pour la première fois, plusieurs groupes de praticiens narratifs de langue française se sont réunis et ont travaillé ensemble dans un esprit ouvert et confraternel. Il y avait le groupe de Nantes, autour de Julien Betbèze et Bertrand Hénot, avec également Sandrine Janssen, le groupe d’Aix, autour de Serge Mori qui vient de sortir un deuxième ouvrage consacré aux thérapies narratives dont nous rendrons compte prochainement ici, le groupe de Suisse extrêmement dynamique (n’oubliez pas la première Journée Francophone qu’ils organisent à Genève le 4 avril) avec son dynamique animateur Rodolphe Soulignac, les lyonnaises, les toulousaines, et bien sûr les équipes de Paris et Bordeaux de la Fabrique Narrative et leurs compagnons de route. Bref, toute la tribu narrative francophone au presque grand complet (et la porte est ouverte à tous)… Des projets communs sont en train de se tisser, une histoire riche a commencé à s’épaissir ici.

  9. ENTRETIEN AVEC PCR, “À LA MANIÈRE DE …”, APRÈS LA MASTER CLASS DAVID EPSTON

    19 AU 21 MARS 2014.

    PCR est une jeune fille, qui vient à la demande de sa mère. Celle-ci s’inquiète pour
    sa fille : “elle n’écoute rien”, “elle rentre de plus en plus tard le soir”, “elle pourrait
    être facilement attirée par ça (NDLR : des conduites addictives) car elle ne sait pas
    résister aux propositions déraisonnables”.

    T. Merci de me donner une chance de te rencontrer. Peux-tu me dire si tu es ici
    aujourd’hui parce que tu le souhaites, ou parce que ta mère l’a demandé, ou un peu
    des deux ?

    PCR. Bah, ouais. C’est ma mère. Elle dit que je suis désobéissante, que je n’écoute
    rien, que je n’en fais qu’à ma tête…

    T. “Tu n’en fais qu’à ta tête” ? Waow ! Est-ce que tu serais d’accord pour m’en dire
    plus ? Je connais beaucoup de personnes qui me disent qu’elles n’ont plus toute
    leur tête. Mais je rencontre rarement des personnes qui n’en font qu’à leur tête…
    J’aimerais bien en savoir plus…

    PCR. Oui, d’accord. Ben, par exemple… elle voudrait que je porte le chapeau qu’elle
    m’a fait. Elle voudrait que j’y fasse attention. Et moi, j’en fais des tas de choses… ca
    l’énerve !

    T. Un chapeau tu dis ? Un chapeau comment ?

    PCR. Euh… une espèce de chapeau rouge. En tissu. Elle l’a fait elle-même. Elle me dit
    que je dois le porter, pour être plus mignonne. Mais moi, je sais pour que c’est plutôt
    pour qu’elle m’ait à l’œil, pour qu’elle sache où je suis. On ne voit que ça !

    T. Et alors, ce chapeau… tu en fais quoi, par exemple ? Tu peux me raconter un truc
    précis que tu as fait avec ce chapeau ?

    PCR : Bah, je m’en sers pour y mettre des fraises ou des fruits que je cueille. Ou bien
    l’autre jour, j’ai essayé d’en faire un parachute. J’y ai attaché une pomme de pin. Et
    je suis montée tout en haut de l’arbre, pour lâcher le parachute. Mais ça n’a pas bien
    marché, il est tombé en vrille et il s’est un peu pris dans les branches. Et moi, quand
    je suis redescendue, j’avais de la résine plein les vêtements. Je me suis salement fait
    disputer le soir…

    T. Un parachute ? Un parachute ? Ca m’intrigue drôlement…

    PCR. En fait, j’ai lu quelque part que les écureuils, en fait, ils ont un problème de
    vue, pour les distances. Ou un problème de cerveau, je ne sais plus. En tout cas, s’ils
    sautent de branches en branches comme des fous, c’est parce qu’ils ne se rendent
    pas compte. Alors je me suis dit que l’on pourrait peut-être leur faire des parachutes.
    Après tout, on ne voit que ceux qui s’en sortent mais on ne sait pas combien y
    restent… Alors j’ai attaché une pomme de pin aux rubans de mon chapeau, pour voir

    T. Dis-moi, serais-tu surprise de m’entendre dire… je vais peut-être dire n’importe
    quoi… mais as-tu l’impression d’être une petite fille désobéissante, ou une petite fille
    pleine de curiosité ?

    PCR. Pleine de curiosité ? Oui… peut-être… j’aime bien essayer des trucs…

    T. Est-ce que tu connais par exemple, dans ton entourage, quelqu’un dont tu dirais
    qu’il ou elle est plein de curiosité ?

    PCR (…) Oui. Je pense à Blanchette. C’est une chèvre. C’est mon amie.

    T. Une chèvre ? Vraiment ? Ton amie ? C’est incroyable ! Tu veux bien m’en dire
    plus ? Je n’ai jamais entendu quelque chose comme ça !

    PCR. Oui. Elle est à Mr Seguin. Et elle veut toujours sortir. Lui, il ne veut pas. Un peu
    comme ma mère. Il lui a fait un enclos. Mais elle, elle veut sortir, visiter, découvrir,
    aller plus loin… Il dit, lui aussi, qu’elle est désobéissante… Mais moi, je sais… je sais
    que c’est plus fort qu’elle, elle a envie de découvrir autre chose que son champ, que
    ce que Mr Seguin lui dit de la vie…

    T. Dis-moi, es-tu d’accord pour qu’on “invite” Blanchette à cet entretien ?

    PCR. Oui, elle est curieuse, elle viendrait sûrement…

    T. Bon, si Blanchette était ici aujourd’hui, si elle te voyait, si je lui demandait ce
    qu’elle pense de toi, de ta capacité à expérimenter pour créer des parachutes pour
    les écureuils, et à grimper tout en haut des arbres pour cela… Que penses-tu que
    serait sa réponse ?

    PCR. (elle rit) Bah, elle dirait sans doute “ça ne m’étonne pas ! On en a déjà parlé
    toutes les deux. La vie est courte. Il faut essayer de la vivre, de la comprendre, de
    la tester”. Elle dirait que la raison et la sécurité sont pour les grandes personnes. Si
    nous, nous n’essayons pas, qui le fera ? Oui, c’est ça qu’elle dirait Et elle dirait “je
    savais que tu pouvais le faire. Tu n’as pas froid aux yeux. Continue à faire ce qui te
    passe par la tête”

    T. Ah ! Elle te dirait de continuer… et si en sortant d’ici, tu continues, demain par
    exemple, de faire ce qui te passe par la tête, qu’est-ce que ce serait ?

    PCR. Ce serait… quand ma mère m’envoie faire les courses, elle me dit toujours de
    faire vite, de ne pas m’arrêter, de ne parler à personne dans le bois… mais moi…
    je vois les fleurs. Je vois un papillon que je ne connais pas. J’entends un pic-vert et
    je ne sais pas où il niche… Je vais voir, ça c’est sûr. Je sors du chemin, je prends un
    nouveau raccourci. Enfin, je vérifie si c’est un raccourci, et pour ça, il faut y marcher…
    Ouais, ça, je le fais, même si je me fais disputer en rentrant. Je veux voir comment ça
    se passe. Tout.

    T. Tu veux voir par toi-même comment ça se passe. C’est beaucoup de courage pour
    une jeune fille. .. Y-a-t-il une personne que tu connais, une personne dans ta famille,
    ou une autre personne, qui ne serait pas du tout surprise de t’entendre dire qu’il faut
    tout voir par soi-même, et qu’il faut y aller ?

    PCR (sourit) Oui. Ma grand’mère.

    T. Ta grand’mère maternelle ?

    PCR. Oui. Elle est très vieille. Ma mère voudrait qu’elle vienne vivre avec nous, au
    village. Mais ma grand’mère, elle ne veut pas. Elle habite toute seule, dans une
    petite maison, de l’autre côté de la forêt.
    Elle fait semblant de ne pas savoir, d’être un peu sourde. Mais elle est très forte, ma
    grand’mère. Elle sait plein de choses. Et n’est pas du tout aussi bête qu’on le croit.
    Elle dit qu’elle reste là, qu’elle veut voir ce qui peut se passer. Et elle dit que dans
    le village, il ne se passera rien. Ma grand’mère, elle me dit toujours “Petite, ne
    demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connait. Tu pourrais prendre le risque
    de ne jamais te perdre.”

    T. Si je comprends bien, tu es pleine de curiosité. Tu aimes faire des découvertes,
    observer, tester et comprendre. Et ta grand’mère, celle qui habite de son plein gré
    dans la forêt serait fière de le savoir. Parce qu’elle dit que c’est une bonne chose de
    savoir se perdre, dans la vie. Qu’est-ce que cela dit de toi ? Tu veux bien me dire ce
    que cela te fait, et ce que ça dit de toi ?

    PCR. Ca dit que je n’ai pas froid aux yeux, et que ma grand’mère et moi, on préfère
    aller y voir, même si c’est moins sûr que de rester chez soi…

    T. Une dernière question, si tu le permets… Imagine que tu as 20 ans de plus. Tu es
    maman d’une petite fille. Tu lui lis une histoire, le soir, dans la petite chambre avec
    une lampe à l’abat-jour jaune pâle. Ta petite fille te réclame comme tous les soirs la
    même histoire. Celle d’une petite fille qui porte, comme toi, un chapeau rouge. Dans
    le livre, la petite fille va rendre visite à sa grand’mère, elle prend le temps de flâner,
    elle parle à quelqu’un qu’elle ne connait pas… Quel serait le titre que tu aimerais
    donner à cette histoire, quand ta petite fille la demande ?

    PCR. Ce serait… un titre un peu long… “Petit Chaperon Rouge, si tu veux connaître la
    vie, prends le chemin des épinglettes”. Ouais, … et il faut laisser les autres prendre le
    chemin des aiguillettes. Il ne mène à rien d’intéressant.

    Martine, 23 mars 2014

  10. Passer 3 jours avec David Epston c’est un peu comme partir en voyage sans quitter sa chaise. Un voyage qui pour ma part m’a embarqué aux confins de paysages d’identités magnifiquement tissés par des mots. Des mots dont j’ai définitivement pu mesurer l’infinie poésie.
    Au delà des cartes, par delà les territoires et comme une délicate réponse à l’invitation faite par David lui même de ré imaginer notre pratique, j’ai cru apercevoir dans cette poésie une contribution possible au « ré enchantement » d’un monde qui en a cruellement besoin.
    Si « les mots sont notre monde » ( Wittgenstein ) notre responsabilité est immense, et je sais que vous n’en doutez pas. Nous sommes les témoins et acteurs privilégiés de ces « voyages intérieurs » et de leur influence dans la vie des gens que nous accompagnons.
    Mes yeux ont brillé, de joie et d’émotion mêlées sans doute, lorsque David a déposé comme une offrande, cette dernière question, vendredi, qui nous a emmenée là ou je n’aurais jamais imaginé aller. La poésie de l’espoir était là, je vous assure. En tout cas, moi je l’ai reconnu…

    Christophe

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