Un joli texte déniché et traduit par Noellyne Bernard.
“Il existe une tribu Africaine où l’âge ne se compte pas à partir du jour de l’accouchement ou même du jour de la conception. Dans cette tribu, la date de naissance correspond au jour où l’enfant à naître n’est encore qu’une pensée dans l’esprit de sa maman. Lorsqu’une femme décide d’avoir un bébé, elle se retire de la tribu et va s’asseoir seule sous un arbre. Elle écoute alors le silence jusqu’à ce qu’elle entende une chanson : la chanson que lui transmet son futur enfant désirant venir au monde. Une fois fait, elle va retrouver le futur père et lui enseigne à son tour la chanson en question. Lorsqu’ils font l’amour pour physiquement concevoir leur bébé, ils murmurent ce chant comme pour mieux inviter le nouveau petit être. Une fois enceinte, la future maman enseigne la fameuse chanson à ses parents, frères, soeurs, belle-famille ainsi qu’aux vieilles femmes du village.
Au moment de l’accouchement, le nouveau-né est ainsi accueilli en chanson par une grande partie de la tribu. Plus tard, lorsqu’il tombera, se fera mal ou sera simplement triste, chacun pourra le réconforter en lui chantant sa chanson, même si ses parents sont éloignés. Ce sera aussi une belle façon de célébrer ses grands accomplissements, comme la puberté, l’entrée à l’âge adulte ou son mariage : le village entier chantera à sa gloire.
S’il se conduit mal au cours de sa vie, en commettant un crime ou un acte social aberrant, l’individu est appelé au centre du village. L’ensemble de la communauté l’encercle et lui chante sa chanson. La tribu considère en effet que la punition et les châtiments ne servent à rien. Ils résolvent leurs problèmes en démontrant leur amour et en donnant de la reconnaissance à leur congénère, en lui chantant SA chanson. Ainsi vivent ces gens jusqu’à leur dernier souffle, de sorte que chaque individu sur son lit de mort reçoit la visite du village qui lui rend un ultime hommage. Le village lui dit alors adieu en chanson, avec SA chanson, reprise une toute dernière fois avant qu’il ne ferme les yeux à jamais.” The Mind Unleashead.
OK Stéphane, en effet je retire Kalashnikov et je remplace par petit caillou dans la chaussure, ce petit caillou qui permet d’enlever sa chaussure et au final de se sentir mieux. Je voulais pourtant être certain que le caillou n’avait pas blessé le pied de Noellyne mais finalement cette blessure fait elle aussi partie du chemin. Si nous n’avons pas fait les recherches avant de publier l’histoire au lieu de le faire après, c’est simplement parce que nous n’y avons pas pensé, influencés que nous étions par les idées dominantes liées à notre contexte. Ceci aussi est une occasion d’apprendre et de grandir.
L’importance accordée au fait de relier ou non une histoire à ses propriétaires est plutôt une question de sensibilité éthique.
L’histoire racontée est très inspirante et je suis convaincu que sa publication est précédée de bonnes intentions : l’enfer n’en est-il pas pavé ?
S’ils existent, leurs auteurs ont certainement un nom mais pas seulement. Peut-être ont-ils un avis à donner sur la façon dont leurs mœurs devraient être publiées et utilisées ? Comment le savoir ?
Vous allez enquêter bravo. Pourquoi enquêter après avoir publié cette histoire plutôt qu’avant ?
Comment connaître l’opinion d’une personne, d’une famille ou d’une tribu quant à la façon de rédiger, publier, utiliser son histoire et ses mœurs sinon en lui posant la question préalablement ?
Comment se souvenir de l’histoire des enfants que l’on nommait par des chansons sans savoir qui ils sont ? Comment distinguer ce récit des contes, des légendes et des mythes ?
Simple précaution éthique qui est (trop) souvent oubliée, ce qui est triste mais j’y suis habitué. En revanche, cet oubli est inhabituel au sein de la communauté des praticiens narratifs. D’où ma réaction.
Le but de cette confrontation est d’accorder nos actes avec notre discours narratif. Ne pas hésiter à se confronter si des comportements nous semblent contredire ce discours. Les non-dits, le silence ou l’indifférence seraient-ils préférables aux confrontations ?
Comment rester crédibles avec nos “conversations pour redevenir auteur” si nous publions des histoires sans prendre soin du nom de leurs auteurs ?
Sinon l’amour propre, je ne vois pas ce que cette confrontation pourrait blesser. Poil à gratter ou petit caillou dans la chaussure seraient des analogies plus appropriées que la Kalachnikov. La Kalachnikov n’a pas encore été utilisée pour soigner alors que la confrontation…
Confrontons-nous. Encore et encore. Ne faisons pas de ce genre d’oubli un détail. Pas nous, cher ami. Le droit d’auteur et l’importance accordée à son respect, voilà bien qui nous distingue, qui fait notre singularité donc notre identité de praticiens narratifs. Je ne parle pas du droit d’auteur au sens juridique ou commercial. Pas seulement celui de cette tribu mais de n’importe quel être humain. Du droit d’être reconnu comme auteur de notre vie, de notre histoire, de nos mœurs. L’oubli est le contraire de la reconnaissance. N’oublions pas que si elle existe, cette tribu a un nom. Ne l’oublions pas, pas seulement par politesse ou par respect d’une loi, mais d’abord parce qu’effacer c’est enlever la face.
Dans “La mémoire, l’histoire, l’oubli”, Paul Ricoeur évoque la reconnaissance comme un « petit miracle »:
« Je tiens la reconnaissance pour le petit miracle de la mémoire. Comme miracle, il peut lui aussi faire défaut. Mais quand il se produit, sous les doigts qui feuillètent un album de photos, ou lors d’une rencontre inattendue d’une personne connue, ou lors de l’évocation silencieuse d’un être absent ou disparu à jamais, le cri s’échappe : « C’est elle ! C’est lui ! » Et la même salutation accompagne de proche en proche, sous des couleurs moins vives, un événement remémoré, un savoir-faire reconquis, un état de choses à nouveau promu à la récognition »
Stéphane K., tu manies la Kalachnikov avec un talent incroyable 🙂 Quelle érudition implacable et quelle patte ! J’ignorais totalement cette correspondance entre ce texte et la période de la vie de l’auteur où il a été écrit, comment il marque une charnière dans son oeuvre et ses engagements politiques. C’est une superbe façon de soutenir ton point de vue.
Il est rare que la parole se libère sur ce blog jusqu’à exprimer aussi franchement la confrontation entre des visions du monde différentes. Je trouve que c’est une bonne chose, à partir du moment où personne ne se sent humilié et a l’impression de perdre la face. Le caractère public du blog amplifie les effets de cette histoire. C’est un phénomène qui rappelle un peu, en entreprise, les échanges de mails plus ou moins aigre-doux avec copie à la terre entière. En effet, Noellyne aurait pu rechercher les références précises du texte. Je pense qu’elle a compris. Par contre, même si elle ne l’a pas fait, quelle était son intention quand elle s’est proposée de le partager ici plutôt que de le garder pour elle ? Et quelle était mon intention quand j’ai décidé de le passer dans le blog sans relever que les droits d’auteur n’étaient pas attribués ? Je ne peux pas répondre à la place de Noellyne mais en ce qui me concerne, il me semble que l’intérêt du texte est de proposer un mode de réflexion différent à explorer, pour définir l’identité. Nos collègues peuvent y trouver une source d’inspiration, regarder leurs clients différemment et chercher avec eux cette “chanson” qui les accompagne de la naissance à la mort. Cette histoire est elle vraie, d’ailleurs ? Ou s’agit-il d’une de ces légendes new age, qui de Facebook à Youtube, circulent sur le net. Je pense qu’il y a dans cette histoire une forme de compréhension intéressante de l’identité. Qu’en penseraient les (éventuels) inventeurs de cette pratique ? Seraient-ils furieux que leur nom ne soit pas accolé à leur invention ? Ou se réjouiraient-ils que leur façon de voir puisse exister, circuler et s’épaissir en Occident ?
Nous allons enquêter sur ce texte, pour voir si nous pouvons retracer de quelle tribu et de quel pays d’Afrique il s’agit. Mais si nous ne trouvons pas, nous nous souviendrons avec respect de l’histoire des enfants que l’on nommait par des chansons.
Règles, poursuites, procureurs généraux. C’est peut-être beaucoup. Personne ne sera poursuivi de raconter l’histoire d’une tribu Africaine sans juger nécessaire d’indiquer son nom et le lieu où elle vit. J’aime l’exemple de ce texte. Bob Dylan – “Écrits et Dessins”. Chouette, l’auteur de ce poème et l’ouvrage dont il est extrait sont tous les deux cités ! Grâce à ces informations chacun peut établir un lien entre ce texte, son auteur et son histoire. Merci !
C’est précisément sur l’importance de ce lien que j’espérais attirer votre attention. Il semble que j’ai échoué. Remarquez cependant comment quand ces informations sont “oubliées”, il est impossible de relier les trois : oeuvre, auteur, histoire. Dans le récit de cette tribu Africaine, cette absence était pourtant instructive. Pas grave.
Si vous revenez à ce texte de Bob Dylan vous constaterez vous-même comment le nom de l’auteur et le lieu où se déroule l’action aident à mieux cerner sa vie. Ce poème est en effet extrait de “Writings and Drawings”, livre publié en 1973 dans lequel Bob Dylan réunit des textes et des dessins réalisés sur une période de son histoire qui couvre 9 années, de 1962 à 1971.
8 août 1964 : Bob Dylan enregistre l’album “Another Side of Bob Dylan”. Quelle est donc cette “autre facette” de lui qu’il y exprime ? Par contraste avec quelle facette ? Jusque là, de 62 à 64, Bob Dylan a composé des textes qui reflètent ses engagements politiques contestataires, des “protest songs”. Or, ce nouvel album ne contiendra aucun “protest song” comparativement aux précédents. C’est un choix délibéré de sa part. Il a décidé d’ouvrir une nouvelle page de sa vie artistique. Ce poème raconte ses engagements politiques de l’époque. Quels sont-ils ?
Avec les “protest song” Bob Dylan exprimait des engagements politiques qui catalysaient les campus universitaires américains dans leurs sentiments d’injustice vis à vis du conservatisme du pouvoir en place, le pouvoir des hommes blancs hérité des pratiques de domination des colons européens (nos ancêtres).
Un exemple de son engagement politique restera à jamais dans l’histoire, celui de la Marche sur Washington du 28 août 1963. Ce jour là, Bob Dylan se joindra à 200 000 américains qui défileront pour dénoncer l’inégalité des droits entre la population noire et la population blanche. Martin Luther King prononcera son célèbre discours “I have a dream” et la chanson de Bob Dylan intitulée “Blowin’in the Wind” y sera interprétée.
1962 à 1964, est donc une période de son histoire pendant laquelle Bob Dylan exprimait son fort attachement au respect de la différence et à l’égalité des droits entre tous les citoyens. En évoquant “Les règles et les poursuites des procureurs généraux” auxquelles il répond en “sifflotant et en balayant”, dans ce joli texte, c’est aux blancs qui ne respectent pas ces valeurs qu’il s’adresse.
Les temps ont changé depuis la Marche de 1963. Nous sommes en 2014. Barack Obama est président des USA. Grâce aux mouvements des années 60, grâce à Bob Dylan, entre autres, l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, entre les populations blanches et noires, qui était alors un rêve, est devenue un fait. Tous les citoyens, femmes et hommes, blancs et noirs, sont protégés d’éventuelles discriminations par des règles et des lois. Ceux qui contreviennent à ces règles et ces lois s’exposent à des poursuites conduites par des procureurs généraux qui sont eux-mêmes femmes ou hommes, noirs ou blancs. Ce texte était d’une certaine façon prophétique.
Bob Dylan sifflerait-il aujourd’hui en face de ces règles, de ces procureurs généraux et de leurs poursuites ? Serait-il ce même balayeur ? Sifflerait-il et balayerait-il devant le spectacle de blancs racontant les pratiques de tribus Africaines sans voir la nécessité d’indiquer leur nom et l’endroit où elles vivent ?
Difficile de le savoir. Je ne balaye pas et ne siffle pas devant ces oublis parce que j’attache de l’importance aux relations entre le nom, le lieu où vit l’auteur et son histoire. Je ne trouve pas très difficile l’effort d’indiquer ces informations. Je trouve même du plaisir à les fournir. J’aime l’idée d’être ainsi relié à Bob Dylan et à cette tribu Africaine, relié par cette valeur. Nous sommes différents. Et j’aime aussi l’idée de respecter cette différence.
J’ai aussi déniché ce poème, cité par Deleuze, dans ses “DIALOGUES” avec Claire Parnet.
“Oui je suis un voleur de pensées
non pas, je vous prie, un preneur d’âmes
j’ai construit et reconstruit
sur ce qui est en attente
car le sable sur les plages
découpe beaucoup de châteaux
dans ce qui fut ouvert
avant mon temps
un mot, un air, une histoire, une ligne
clefs dans le vent pour me faire fuir l’esprit
et fournir à mes pensées renfermées un courant d’arrière-cour
ce n’est pas mon affaire, m’asseoir et méditer
à perte et contemplation de temps
pour penser des pensées, qui ne furent pas du pensé
pour penser des rêves qui ne furent pas rêvés
ou des idées nouvelles pas encore écrites
ou des mots nouveaux qui iraient avec la rime…
et je ne m’en fais pas pour les règles nouvelles
puisqu’elles n’ont pas encore été fabriquées
et je crie ce qui chante dans ma tête
sachant que c’est moi et ceux de mon espèce
qui les ferons, ces nouvelles règles,
et si les gens de demain
ont vraiment besoin des règles d’aujourd’hui
alors rassemblez vous tous, procureurs généraux
le monde n’étant qu’un tribunal
oui
mais je connais les accusés mieux que vous
et pendant que vous vous occupez à mener les poursuites
nous nous occupons à siffloter
nous nettoyons la salle d’audience
balayant balayant
écoutant écoutant
clignant de l’œil entre nous
attention
attention
votre tour ne va pas tarder.”
Bob Dylan, Ecrits et dessins, éd. Seghers
j’aime l’idée d’être balayeur …
Salut l’ami Chevalier Noir,
Hélas, Marlo Morgan n’a pas résisté à la puissante tentation de chosifier la vie et l’histoire des aborigènes pour en faire une marchandise culturelle, aussi séduisante soit la marchandise.
Il est instructif de comparer un autre genre de relation avec ce peuple avec des personnes comme Michael White, David Denborough et d’autres consultants du Dulwich Center.
Le site internet du Dulwich Center présente un article intitulé “The Narrandera Koori Community Gathering” qui montre implicitement cette autre façon d’être en relation avec les peuples premiers : http://www.dulwichcentre.com.au/narrandera.html
Il y a 12 ans, le clan aborigène qui se nomme lui-même peuple Koori de Narrandera a publié cet article pour rendre compte des histoires et des chansons qui furent composées à l’occasion d’un regroupement organisé avec le soutien d’un “groupe d’écoute” composé de cinq membres du Dulwich Center : Barbara Wingard, Maggie Carey, David Denborough, Shona Russell et Michael White.
À la fin des trois journées, la communauté composa un chant intitulé “Bring us Home” lequel rassemble toutes les histoires racontées pendant cette cérémonie de remembrement. Voici le dernier couplet :
Now we’re talking in circles
Just like our grandparents did
Treasuring history
For it is our legacy
Je me hasarde à la traduction suivante :
Nous parlons en cercles
Comme jadis nos grands parents
Chérissant nos histoires
Qui sont notre héritage.
Dans la culture aborigène, les histoires sont des biens plus précieux que le patrimoine mobilier et immobilier.
Les participants à ce rassemblement représentaient un peu plus de 40 adultes et près de trente enfants, au total environ 70 personnes. Ce qui représente un joli petit paquet de monde. Pourtant, cela n’a pas empêché les auteurs de l’article de prévoir un paragraphe entier pour y figurer le nom de chacun des 70 participants, adultes et enfants.
Et si cela ne suffisait pas, au cas où le nom d’un participant aurait été oublié, les auteurs invitent les personnes concernées à se faire connaître pour que leur nom soit ajouté. Excessif ? Simplement l’expression de l’importance attachée par ce peuple au fait de relier les histoires à leurs propriétaires. Pourquoi y attacher autant d’importance ? Ainsi, ces histoire restent vivantes. Et elles ne se transforment pas en choses culturelles, aussi attirantes soient ces choses.
L’oubli du nom est une marque de la chosification. Il serait dommage de penser que j’attire avec autant d’insistance l’attention sur cet aspect parce que je serai hypersensible au respect des peuples premiers. Je suis autant sensible à la relation avec ces peuples que l’est chacun d’entres nous. Parfois moins. Parfois plus.
Si j’insiste, c’est parce que cette pratique de chosification qui consiste à oublier certains aspects qui participent de l’identité (nom, prénom, visage, lieu, etc) est une pratique facilement visible dans la relation avec les peuples exotiques alors qu’elle est pourtant plus active mais beaucoup moins visible dans nos relations avec nous-mêmes et avec nos semblables ! Par exemple dans la gestion et la comptabilité.
Bon, il est tard. Je profite de cet échange pour dire que le 25 juin 2014 sera l’occasion de commémorer la mort de Michel Foucault. Impossible de dissocier l’histoire des pratiques narratives et de Michael White, de cet historien de la pensée. Le plus extraordinaire, c’est à quel point il est présent dans l’actualité.
Le débat sur la (soi-disant) théorie du genre enseignée dans les écoles prend appui sur l’application aux USA des travaux de Foucault avec les “études de genre”. L’idée est que l’identité n’est pas seulement biologique mais aussi culturelle. C’est dans ce courant de pensée des “gender studies” et des penseurs critiques français post modernes que Michael et David ont élaboré les pratiques narratives.
Si vous organisez une fête pour célébrer l’évènement j’aurai plaisir à me joindre à vous.
Amicalement
Oui, Stéphane tu as raison de rappeler ces activités du pouvoir et du privilège jusque dans nos colonnes. Ceci m’a rappelé Stéphane ton commentaire de 2009 sur un article un peu bêtement béat que j’avais posté suite à la lecture de Marlo Morgan :
http://www.lafabriquenarrative.org/blog/resistances/moi-mutant.html
Salut et fraternité,
Pierre
“Il existe une tribu Africaine” …
Quelle est le nom de cette tribu ? Est-elle nomade ? Sédentaire ? Où est-elle basée ? Qui sont ces membres ? Quelle est leur histoire ? Cette histoire est-elle réelle ou imaginée ? Est-ce que cette tribu a lu cet article ? À-t-elle donné son accord pour la publication de cette histoire ?
Comment ces questions sont-elles occultées ? Par quel oubli ?
Si cette tribu existe et que son nom n’apparaît pas dans cette histoire c’est la manifestation d’une pratique occidentale dans sa relation avec les peuples premiers. Privé une personne, une communauté ou une tribu de son nom sur son oeuvre est une façon d’oublier ou de faire disparaître son identité. Celle qu’elle se décide elle-même, au bénéfice d’une autre identité, celle d’un désir, d’un rêve ou d’un fantasme.
Cette pratique est un héritage de notre culture de colons d’Europe de l’Ouest.
Une invitation courante. Presque banale.
Comment refuser cette invitation ? Demander l’accord des auteurs avant de faire de leur histoire un objet de consommation culturelle.
Demander aux auteurs leur accord. Pas ceux qui rédigent. Les auteurs au sens de “propriétaires ultimes de l’histoire racontée”. Et indiquer leur nom. Et, tant qu’à faire, le nom qu’ils se donnent eux-mêmes plutôt que celui que nous, Occidentaux, leur donnons.
Si vous êtes praticiens narratifs ceci est un cas très significatif pour illustrer la spécificité de notre travail. La psychanalyse des origines était basée sur le postulat qu’il serait toujours possible de découvrir l’identité d’une personne à partir d’un détail aussi insignifiant soit-il. Cette idée est développée par Freud avant l’avènement de la psychanalyse dans son livre intitulé “le Moïse de Michel Ange” qui consiste à démontrer qu’avec une méthode rigoureuse il était possible de deviner les intentions de Michel Ange avec cette oeuvre alors qu’il était décédé. L’auteur est absent et sa présence n’est pas indispensable pour connaître son intention, ses désirs, son histoire. La méthode peut donc se substituer à sa parole.
La relation d’expertise du thérapeute vis-à-vis du client relève de la même attitude : la connaissance peut se substituer à la souveraineté du sujet sur sa vie et son histoire.
Et cette prémisse prive le sujet de ses droits d’auteur sur sa vie.
Heureusement, la psychanalyse a ensuite emprunté une autre direction mais cette invitation à négliger ces droits d’auteur est encore présente dans notre héritage culturel de colons.
D’où la facilité avec laquelle l’absence du nom de cette tribu et l’absence de l’auteur de ce texte prennent un statut de détail.
Les personnes, les familles et les communautés qui nous consultent sont exposées à ces pratiques. Il n’est pas nécessaire d’être une tribu Africaine pour en faire l’expérience. C’est en ce sens que cet oubli est intéressant. Cette pratique est autant à l’œuvre entre nous. Chaque fois que nous racontons l’histoire d’une personne, d’une famille ou d’une communauté sans son accord préalable explicite, sans indiquer son nom, bref sans respecter ses droits d’auteur.
C’est un point de vue. Je vois ça différemment, plutôt comme une ressource que comme une prison. Dans mon monde :
– aligné ne signifie pas normé mais simplement “droit dans ses bottes”, en accord avec soi et conscient de son unicité dans son identité multiple.
– totalement en lien ne veut pas dire ligoté mais relié aux autres, soutenu par eux de manière inconditionnelle.
“Aligné”… “Totalement en lien”… C’est ainsi que commence la standardisation de la pensée et des comportements. Et il faudra des siècles pour rendre à l’individu sa liberté de penser et d’agir.
J’ai déniché cette histoire, elle était en anglais. Ce n’est pas moi qui ai réalisé la traduction … Mais je l’aime beaucoup. C’est une histoire d’identité qui me parle, parce qu’une telle construction constitue une ressource immense. Et j’aime aussi les histoires ou la punition ne sert à rien …
Merci Noellyne. J’imagine tous les effets bénéfiques de cette coutume sur l’individu, qui se sent ainsi à la fois unique, aligné et totalement en lien avec ceux qui comptent pour lui. Ca donne des idées…