Un texte épatant de Thierry Groussin, animateur talentueux du blog “Indiscipline Intellectuelle”, manager humaniste et compagnon de route de longue date de nos explorations narratives.
Une vie, ce n’est pas un chemin, c’est une multitude de chemins. Nous avons l’illusion d’une ligne – notre “ligne de vie” – comme une ligne de métro avec ses stations, toujours les mêmes, toujours dans le même ordre. Vous allez me dire : c’est normal, c’est la chronologie ! Je ne suis plus d’accord avec cette vision. La ligne que nous décrivons, les stations que nous y recensons, l’ordre dans lequel nous le faisons, tout cela résulte du choix du narrateur, de l’histoire qu’il a élaborée pour intégrer des évènements que, dans le moment, il juge importants et structurants. Or, pouvez-vous faire découvrir Paris à des étrangers en parcourant seulement la ligne 12 ou la ligne 3 du métro, fût-ce de la surface ?
Je vais vous donner un exemple de la manière dont on choisit de prendre la ligne 12, la 3 ou la 8. Vous arrive-t-il, comme à moi, d’être porté à la cyclothymie ? Y a-t-il des matins où tout semble sourire et d’autres où la grisaille envahit votre âme ? Si vous connaissez ces polarités, votre vie vous apparaît sous des jours contrastés. Elle est comme ces danseuses de Pirandello dont la robe change de couleur en passant sous des projecteurs différents. Ainsi, j’ai fini par comprendre qu’il ne faut pas se représenter notre vie comme une ligne mais comme un espace. Pas comme un chemin, mais comme un paysage. Comme une ville, finalement, avec ses hauts-quartiers, ses lieux de lumière et ses zones d’ombre, ses lieux branchés et ses «squatts». Et, à l’intérieur même de ces lieux contrastés, on peut rencontrer l’incongruité : faire de mauvaises rencontres dans les beaux quartiers et de belles rencontres dans les mauvais.
Ainsi, j’ai découvert que je peux me représenter ma propre vie d’au moins deux manières très opposées :une belle route qui s’élève progressivement, en serpentant un peu, et qui m’emmène vers des accomplissements successifs où je me découvre moi-même – ou bien une errance glauque, absurde, qui n’a pour vertu que de révéler la gamme de mes infirmités et de mes malchances. Dans cette ville qu’est ma vie, les lieux que je revisite dépendent en fait de mon humeur et de l’itinéraire que celle-ci me fait prendre. Attention, d’ailleurs, aux routines : à force de prendre toujours le même itinéraire, je cours le risque de me faire une représentation très appauvrie de ma ville et de ma vie.
Premier itinéraire. Si je me réveille avec un bobo à l’âme ou avec une crise de foie, je vais parler de ma vie comme d’une série d’erreurs, d’insuffisances personnelles et éventuellement d’injustices. Je n’ai pas été capable d’achever mes études secondaires. Je n’ai pas réussi à coucher avec la grande Nunuche – et pourtant tout le lycée était passé dans son lit. J’ai planté le commerce de mon père. J’ai connu, certes, des débuts de réussite mais ils ont toujours fini par tourner court. J’ai flingué mon mariage. Je ne suis même pas sûr d’être un bon père. En fait, en tant que conteur amer de ma vie, j’ai choisi de divaguer, de tourner en rond dans mes bas-quartiers, et si j’emmène quelqu’un avec moi, ma ville va lui paraître quelque chose de sordide et de puant.
Un autre itinéraire maintenant et, je vous l’assure, toujours dans la même ville. Adolescent, j’avais une intelligence trop libre, des aspirations profondes mais dont je ne trouvais pas la clé. Seule une succession d’expérimentations – d’apprentissages – m’a permis de me trouver moi-même. Je me suis réalisé d’une manière – de plusieurs manières en fait – qui n’était pas celle que mes parents ou mes maîtres auraient pu imaginer. J’ai dû me débrouiller sans aiguilleur. Il m’était nécessaire et il m’a été fécond, par exemple, d’en passer par l’autodidaxie. Il me fallait au cours de ma vie embrasser plusieurs métiers que je ne connaissais pas à l’avance et qu’à chaque fois j’ai dû inventer. Quelquefois, bien sûr, cela a rassemblé aux « escaliers de la Butte si durs aux miséreux » que chantait Piaf. Et, quelquefois, je me suis retrouvé dans de sombres impasses, de véritables coupe-gorge. Mais, quand je regarde ce qui s’est réellement passé dans ces lieux sinistres, force m’est de reconnaître qu’à tout le moins j’y ai fait preuve de résilience et peut-être aussi de quelques autres vertus. Ce sont ces belles rencontres que j’évoquais, que l’on peut faire dans de mauvais lieux – des rencontres avec soi-même.
Alors, si j’avais un exercice à proposer à ceux que le dénigrement de soi guette parfois, ce serait de prendre une très grande feuille de papier et de dessiner leur ville en trois dimensions : la plaine et les hauteurs, la rivière et ses ponts, les quartiers pauvres, les quartiers riches, les parcs, les magasins, les bistrots, les stations de bus ou de métro, les bancs et les terrasses, les églises, les monuments, les écoles, les usines… Pourquoi pas aussi, quelque musée où ranger de vieux souvenirs devenus encombrants et un cimetière pour ce qui fut et n’est plus. Et je proposerais d’imaginer ensuite une grande variété d’itinéraires différents, comme si vous deviez la faire visiter à des touristes dont les intérêts ne sont pas les mêmes. A certains moments, vous verrez, vous aurez envie de devenir urbaniste et vous prendrez plaisir à remodeler certains quartiers, à rajouter un pont sur la rivière ici, une fontaine au coin d’une rue là, ou, comme Haussmann, à percer une avenue. Voilà ma façon de me représenter la « Narrative ».
Thierry Groussin, Responsable de la formation des Dirigeants au Crédit Mutuel
Carolina querida,
Me encanta el ejemplo del elefantito que crécio y no se dio cuenta que podia arrancar el palito que lo mantenia preso ! Lo utilizo muchisimo en coaching ! Todo lo que sea Michael White y sus companeros de Australia existe en Inglés. En Espana no estoy segura de que la narrativa exista pero me da curiosidad que lo plantees. Te diré. Yo soy de Madrid y vivo en Paris, y mi amiga Paquita, que tambien te ha escrito (Françoise) aqui, es del lado catalan Francés. Somos las dos un zipi zape y ella, sobre todo, sabe un potosi de Narrativa ! Yo aprendo. Besos a las dos, Eva
Eva, tengo una anécdota con los cuentos de J. Bucay, conocí la historia del elefante en un hospedaje en Buenos Aires (yo soy chilena)hace 2 años, mi pareja usa esa historia en su trabajo incluso, pero tu mensaje recién nos recordó al autor! Gracias! voy a bajar más cuentos…
Me interesa conocer más de lo que hacen en organizaciones, acá no hay nada de narrativa en ese ámbito… me pueden recomendar algo, en español o en inglés?
@ Carolina
A mi tambien me encanta poder leer en espanol
Cualquiera que sea nuestra historia, nuestra lengua… abramos las ventanas al Mundo !
Nuestro lenguaje es el mismo : es narrativo.
El simple hecho de cambiar de idioma no cambia la historia !
Pero cambia el aire y aclara el horizonte…
Carolina, conoces a Jorge Bucay y sus “Dejame que te cuente”? Todo es posible y al mismo tiempo somos poca cosa y mas vale celebrar cada infima posibilidad que se nos ofrece, ya sea buena o mala : es vida. Un placer intercambiar aqui en espanol. Un abrazo para ti, Eva
Luc je viens de lire ton très très beau commentaire !
Chacun de nous peut être attiré par un mot, une idée… une sensation…
En écho à ce que tu écris, l’allusion aux cendres me donne envie de commenter.
Dans ma chambre, j’ai les cendres de ma fille Sophie. Ce n’est ni morbide, ni triste.
Si on me les enlevait ce serait comme si elle mourait une seconde fois.
Hier justement je réfléchissais et me demandais pourquoi.
Excuse moi, si c’est un peu long, mais il faut que je te dise….
Sophie est morte à Londres. Pour X raisons je n’ai pu aller là bas organiser ses obsèques que 8 jours après.
Bref…. je passe sur “nos retrouvailles” et ce que je lui ai dit la main posée sur la boîte en bois !
Voilà pourquoi elle est toujours près de moi… en cendres, mais si présente et vivante, visible en moi ! (la thérapie narrative est passée par là)
Je me suis si souvent fait du souci pour elle, inquiétée parce que je ne savais pas où elle était, si elle était vivante, morte, malade, heureuse ou malheureuse… jusqu’au moment où le téléphone….. “appel en PCV de la part de Sophie, vous acceptez….” et maintenant le silence… la paix !
Aujourd’hui elle dort paisiblement près de moi. Plus rien ne nous sépare. C’est ça l’amour éternel….
Quand ce sera mon tour de partir en fumée, je veux que nos cendres soit réunies.
Je le dis dans une lettre à la mort que j’ai écrite un jour… c’est un autre propos, peut-être trop personnel pour la publier ici.
Me encantó, es una visión de la narrativa que me interpreta mucho…siempre ampliando las alternativas, muchos caminos posibles, muchos territorios posibles, muchas formas de moverse…
Acercarnos a esa libertad que a veces se siente tan lejana o esquiva, tan cargada de los mandatos dados por los discursos dominantes.
Gracias, una linda forma de recontarlo…!!
Après lecture, ce texte de Thierry Groussin m’envoie directement et sans étape vers un courrier que j’ai envoyé au papa de mon meilleur ami, dont les cendre font partie de son dernier tableau depuis novembre 2009.
Je vous en livre un passage, une errance dans la ville et une étape flamboyante de “subjugation” qui a changé mon histoire.
“Notre rencontre a tous les 2 c’est faite par la peinture et je vais vous la narrer.
Printemps 1984…….
Montpellier, Boulevard Gambetta. De bar glauque en bar louche, je déambulais, tuais le temps, m’épanouissais dans la marge désocialisée de la vie. De rencontres vulgaires en rencontres géniales, tout le monde passait dans ces endroits anonymes, populaires que j’affectionnais tant … Ionas, me disait toujours « tu aimes ces endroits, parce que tu sais que si la plus belle femme du monde vient se perdre dans ce bouge, elle sera pour toi ». Avait il raison ? Nul ne le sais, bien que je sois obligé de reconnaître que les jolies femmes de ces endroits étaient en général pour moi, alors que je souhaitais simplement la bonne, celle qui me conviendrait, celle qui passerait sa vie avec moi… Jusqu’à ce que je rencontre Ionas….
Boulevard Gambetta, entre le souk et chez les riches, Michel venant de Biarritz, ouvre un bar avec sa femme et sa sœur, fort belles toutes les deux. Un soir de déambulation après maintes tournées de bar en bar j’atterri au Jam’s et avant même de repérer les 2 jolies femmes servant au bar, mon regard, au fin fond de la salle, est attiré par un tableau . Je m’approche et découvre une toile en trois dimensions de 2.20 x 1.20 m. Une échelle en bois traverse la toile de part en part et une splendide femme grimpe cette échelle pour se rendre je n’ai jamais su où…. Cette toile me subjugue, m’attire et je décide illico presto de rencontrer l’artiste qui a fait ce chef d’œuvre. Je demande aux serveuses, eh oui, ne pas rater une occasion de parler a ces jolies péroreuses, et seul le patron Michel, me répond : « un super peintre. Il vient ici régulièrement, le matin pour le café, dés fois a l’apéro du soir ».
Depuis lors, j’ai passé mes journées et soirées au Jam’s dans l’attente de cet artiste, et au bout de quelques jours, Michel un matin me présente celui qui deviendra mon vieux frère au fil du temps…. Ionas.
Nous nous sommes de suite reconnu, appréciés et aimés et pratiquement plus quittés jusqu’à mon départ de Montpellier pour l’Afrique.
J’étais l’archi, celui qu’il appelait pour voir les maisons qu’il visitait, celui qui a fait les plans de la louve, celui qui a dessiné cette piscine en lieu et place d’une rampe a barriques de pinard.”