Par Catherine Mengelle
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Une contribution de la “narracoach” qui a traduit “Qu’est-ce que l’approche narrative ?”, d’Alice Morgan (Editions Hermann-l’Entrepôt) et qui est en train de mettre la dernière main a la version française de “Collective narrative practice”, le passionnant ouvrage de référence de David Denborough.
J’abandonne un instant mon travail de traduction pour m’attarder sur les mots de David Denborough au sujet de l’individualisme, et les savourer pleinement : “… l’essor de la culture “thérapeutique” ou psychologique a également énormément contribué au discours individualiste … Ces vingt dernières années, les praticiens de l’approche narrative (Freedman & Combs, 1996 ; White & Epston, 1990) ont cherché à développer une forme de thérapie ou d’accompagnement capable d’offrir une alternative à la conception individualiste de l’autonomie, incontournable et vénérée par de nombreux courants psychologiques… ” (Collective Narrative Practice, David Denborough, 2008).
Ces mots sont, là, sortis de leur contexte, mais tels qu’ils sont, ils résonnent terriblement chez moi, même si je m’éloigne un peu du propos de David au moment où il les écrit. Je me suis toujours plus ou moins dit que les courants de la psychologie et du coaching négligeaient régulièrement la dimension sociale et collective des problèmes de vie mais j’ai l’impression que c’est la première fois que je vois cette idée exprimée de façon aussi claire et définitive.
C’est vrai que je ne lis pas tant que ça non plus, ou peut-être ai-je oublié que je l’ai déjà lu, ou peut-être n’avais-je pas été capable alors de le comprendre. Quoi qu’il en soit, c’est un grand soulagement aujourd’hui : je comprends mieux les difficultés que j’ai rencontrées à l’époque de ma formation de coaching, que chacun d’entre nous choisissait decompléter (s’il n’était pas déjà master ou certifié dans le domaine) selon ses intérêts, en AT, en PNL, en sophrologie, en hypnose eriksonnienne, en gestalt thérapie, etc., l’offre est importante … et la dépense élevée !
Aucune de ces approches ne m’avait jamais totalement convaincue (j’ai pourtant essayé souvent !) et ça commençait à me désespérer sérieusement. Ca serait quoi, mon truc à moi ? Ces techniques me semblaient rendre la personne responsable non seulement des réponses qu’elle pourrait trouver, mais également, malheureusement, de son incapacité à les trouver… cercle très vicieux. Elles manquaient également à mon goût de légèreté et d’humour, de joie de vivre, et de globalité. Je me disais vaguement qu’on oubliait quelque chose d’important… et je me sentais coupable de mon incapacité à avancer et du peu d’intérêt que soulevaient chez moi les techniques de développement personnel.
Tiens, voici une expression intéressante. Le développement personnel s’adresse à l’individu et à ses interactions immédiates (avec les membres de sa famille, ses collègues de bureau, sa hiérarchie, etc.) mais rarement, comme son nom le prouve, au contexte élargi à sa communauté, à la société, voire au monde. Le développement personnel dans l’entreprise, par exemple, m’apparaissait comme un moyen fabuleux d’isoler les salariés et de les maintenir dans cet état d’isolement et de culpabilité, leur enlevant tout moyen d’action collective efficace… une bénédiction pour le haut management et les actionnaires… Bref, ma position,très politique, me plaçait dans une situation paradoxale : comment faire progresser un projet professionnel dans la relation d’aide, en restant cohérente avec ce que je ressentais vaguement comme important, quelque chose sur quoi je n’avais pas du tout envie de lâcher, en dépit de cette impression inconfortable de me mettre à l’écart, têtue, butée sur mes idées, dans un effort de résistancepénible et douloureux (car si j’aime bien résister, j’aime bien aussi les bonnes notes et je “fais de mon mieux” !) ?
Je restai dans cette zone de perturbations un certain temps (ragaillardie toutefois par la lecture du livre “Les managers de l’âme” de Valérie Brunel), jusqu’à ce que Pierre Blanc Sahnoun intervienne dans ma formation une demi-journée, à l’initiative courageuse de Laurent Rizo (merci pour cela encore et encore), et entrouvre une petite fenêtre, petite mais qui a laissé entrer suffisamment de lumière (Pierre avait beaucoup parlé de pépites ce jour-là) pour que j’ai la curiosité de regarder à travers. La petite fenêtre s’est transformée en baie vitrée dès que j’achevai de lire “Maps of narrative practice” de Michael White, qui citait Foucault toutes les dix pages (c’était possible, alors ?), et aujourd’hui l’horizon ne cesse de s’élargir devant moi. Je trouve important de ne pas réduire les difficultés rencontrées par les gens à des affaires strictement individuelles, pas plus qu’à des affaires de société d’ailleurs.
L’approche narrative ne réduit jamais, elle élargit, elle explore, elle enrichit, elle épaissit au contraire. Elleconsidère à la fois l’individu, dont les valeurs personnelles, les talents, les savoirs, les espoirs et les rêves sont totalement respectés et servent de fondation au travail d’accompagnement et le contexte élargi de son problème. Le “contexte élargi” (“Broader context” en Anglais), c’est le contexte culturel, social et politique, qui ne manque jamais d’environner la personne et le contexte rapproché du problème, et dont on s’aperçoit, lorsqu’on l’explore et qu’on le co-déconstruit qu’il recèle souvent certains éclairages importants qui peuvent lui permettre de mieux comprendre ce qui lui arrive. Elargir le contexte, c’est aussi le moyen de donner aux gens des possibilités d’engagement et de contribution à des causes plus larges, des possibilités de lien et d’échange avec d’autres personnes, ailleurs, dans leur entreprise, leur ville, en France ou dans le monde, autour de thèmes partagés, ce qui participe à redonner un sentiment de soi fort. On sait bien, par exemple, que l’isolement total en prison est un moyen de casser les fortes têtes(on sait aussi, par ailleurs, quelles perversités entraînent le collectivisme total et la privation de l’individualité). Et en ce sens, choisir l’approche narrative dans sa vie est éminemment politique, pas au sens où l’entendent les hommes politiques, c’est un vrai choix de compréhension de l’être, de la société et du monde, et un engagement.
En ce qui me concerne en tout cas, j’avais enfin trouvé une communauté, d’idées et d’hommes et de femmes, avec qui j’avais envie de voyager. Ma résistance qui me faisait apparaître comme indécise, incapable d’avancer, confuse, était la plus belle des réponses que je pouvais apporter à mon problème, et seul un praticien narratif (même s’il s’ignore) peut détecter et honorer cela.
Je crois que le plus beau jour de ma vie est celui où j’ai rencontré la narrative; tu as raison, c’est une communauté d’idées, d’hommes et de femmes avec lesquels il fait bon voyager… c’est aussi, pour moi, une autre façon de vivre le quotidien.
Voilà, c’est un tout !
Bel article qui fait des doutes et incapacités de l’accompagnant son trésor de guerre, de bonne guerre ! Merci Catherine
Bravo pour les mots précis et simples que tu as su mettre sur ton cheminement (ancien) vers une double vision individuelle et sociale de notre salut !!!, vision cristallisée par l’approche narrative. Je me sens très proche de ce cheminement, et j’imagine n’être pas la seule.
Cette double dimension personnelle et sociale est ce qui m’intéresse dans l’approche narrative et dans le christianisme, qui nous invitent à trouver notre épanouissement personnel dans un cadre social et politique réfléchi, me semble-t-il …