La DRH d’un grand établissement hospitalier du Sud Ouest dit souvent que : “le DRH, c’est le dernier à avoir les pieds mouillés”.
Cette réflexion se télescope avec la rediffusion récente des “révoltés du Bounty” qui nous offre une admirable réflexion sur le management autour de l’histoire de Christian Fletcher, honnête homme et copilote du vaisseau éponyme qui finit par se mouiller les pieds et le reste en prenant la tête d’une mutinerie contre le cruel Capitaine Blye. Plusieurs conceptions du management et plusieurs systèmes de valeurs s’affrontent sur ce paradigme vivant de l’entreprise qu’est un grand trois-mâts engagé dans une mission vitale : rapporter pour son actionnaire des plants d’arbre à pain qui lui serviront à améliorer ses profits en nourrissant à bas prix les esclaves employés dans ses filiales, pardon, ses domaines.
Le Capitaine Blye est l’archétype du dirigeant de filiale traditionnel, incarnant ce que l’on appelle le management par la terreur, un management où la peur est vue comme le principal driver des collaborateurs et où la mission (augmenter les profits de l’actionnaire) passe avant tout le reste. Ainsi, pour arroser les fameux plans d’arbre à pain, l’eau est prélevée sur les rations de l’équipage qui meurt de soif. Le temps et la rapidité sont une obsession dans ce type de management, et aucune autre opinion que celle du Capitaine n’y est concevable.
Face à ce personnage brutal (mais dont le sadisme assumé et la violence permanente ne le disputent pas à la violence molle et au sadisme passif que l’on rencontre parfois aujourd’hui dans certaines entreprises), le personnage de Christian Fletcher incarne au contraire la tentative pour concilier, fût-ce au prix d’un déchirement des adducteurs, le sens de l’objectif et le respect des règles avec les valeurs humanistes et de respect de l’individu et de sa vie, des valeurs qui en dernière analyse, se révèlent plus importantes que l’atteinte du délivrable à n’importe quel prix. Mais l’expérience autogestionnaire de Fletcher est une fiction romantique, il prendra le pouvoir à la place de Blye exilé sur une chaloupe, après avoir nommé officiers ses principaux complices qui l’ont manipulé, et ne saura pas l’exercer.
En effet, et ce n’est pas le moindre intérêt des “révoltés du Bounty”, le film finit mal. Fletcher est pris au piège de l’histoire dominante du management par la terreur. Proposant sa vision des choses à son Comité de Direction (“il faut aller jusqu’au bout de nos valeurs, quitte à ce qu’elles nous conduisent au bout d’une corde”), se montrant prisonnier de sa culture aristocratique au moins autant qu’auteur de son acte de révolte, il sous-estime l’impact de sa suggestion qui provoque un passage à l’acte immédiat de ses lieutenants. Il sera piégé par son obsession de sauver dans l’incendie du “Bounty” l’instrument de sa liberté (son sextant… ahem, heureusement qu’on n’est pas chez les Lacaniens !) Ceci causera sa perte et surtout l’échec d’un management participatif qui croit pouvoir se dispenser d’autorité, de cadres et de contrats clairement énoncés.
Que se passe t-il après la fin du film ? Une société naît sur l’île des révoltés, une société qui comme toutes les sociétés, commence par un meurtre et se rassemble sur le partage d’une histoire mythique liée à ce meurtre. Il y a fort à parier que la capitale de l’île s’appellera Fletcher City et que les trois mauvais compagnons finiront présidents.