Les cérémonies définitionnelles et l’entreprise

Par Catherine Mengelle
www.dclictonavenir.com

Question souvent posée dans les ateliers de la Fabrique Narrative : quel autre nom trouver pour ce concept et processus essentiel de l’approche narrative qu’est la cérémonie définitionnelle, qui ne procure pas à nos clients donneurs d’ordre cette réaction épidermique de fuite que suscite, à raison, la peur du gourou illuminé ?

C’est un problème de vocabulaire, mais il est important pour le développement de notre pratique au sein des entreprises, dont l’intérêt nous est d’ores et déjà complètement évident.

Cérémonie définitionnelle vient de l’Anglais « definitional ceremony », expression, pour une fois, plutôt facile à traduire ! Et pourtant…

Pour resituer rapidement1 les choses, la recherche de Michael White s’est nourrie du travail de Barbara Myerhoff qui s’est intéressée, dans les années 1980, à comprendre ce qui se jouait dans les rituels collectifs. C’est elle qui est à l’origine de l’expression : il lui semblait que les rituels qu’elle observait (notamment ceux d’une communauté juive de personnes âgées à Venice Beach) permettaient à des personnes dont l’identité était altérée pour une raison ou une autre, d’aller mieux, en leur donnant l’occasion de parler d’eux-mêmes (definitional) devant leur communauté donc devant un public (ceremony). Michael White a superposé à ces idées la notion d’équipe réfléchissante de Tom Andersen (années 1990) et a mis au point sa fameuse carte des témoins extérieurs2, tout en conservant l’expression « definitional ceremony ».

L’expression, qui ne pose sans doute aucun problème aux sociologues, anthropologues ou philosophes, en pose un de fait, en France en tout cas, aux coachs et thérapeutes qui souhaitent pouvoir parler de ce processus (incontournable dans notre approche) et de ses intentions, en entreprise. Cela a du sens de réfléchir à un autre terme car le champ d’intervention traditionnel des praticiens narratifs français est différent de celui des australiens.

En lisant David Denborough3, j’ai compris que la communauté narrative russe butait également sur le mot « ceremony », peut-être pas pour les mêmes raisons que nous toutefois. Daria Kutusova, praticienne narrative russe et traductrice de nombreux ouvrages et articles, m’a répondu :

« Yes, the word ‘ceremony’ is not very appropriate. We are leaning towards the word ‘celebration’ in a more informal sense… but still not sure. The sources that Michael White and David Epston refer to when introducing the term ‘ceremony’ are not represented in Russian… this will have to be remedied in some way. »4

Sa réponse peut contribuer à faire qu’on se sent moins seuls… mais cette proposition, « celebration », me fait penser que leurs raisons sont sans doute assez différentes des nôtres. Le contexte, voilà encore une notion narrative majeure : l’importance de prendre en compte, chacun de son côté, le contexte culturel « élargi » de sa région ou son pays.

Nous voilà donc avec deux mots, chacun chargé de sens : cérémonie d’une part et définitionnelle (ce qui nous définit), d’autre part.

J’ai longtemps cherché des synonymes, mais peut-être serait-il plus intéressant de faire éclater le cadre, d’inventer quelque chose de tout à fait nouveau, pour être au plus proche de ce dont nous avons véritablement besoin. Ce qui est important, c’est bien le sens, l’intention de ces cérémonies : permettre aux histoires alternatives des individus ou des groupes de s’épaissir, en étant jouées (« performed » en Anglais) devant un public, amené à réagir à son tour, et le fait que nous voulions les introduire en entreprise, simplement et de façon transparente, sans risque de mauvaise interprétation. L’idée de cérémonie, qui nous gêne, ne devrait pas être totalement négligée toutefois car la fête, comme tous les rituels religieux ou laïques que nous connaissons et qui rythment nos vies, est ici aussi organisée autour d’une personne, ou d’un groupe de personnes : il est demandé aux témoins extérieurs appelés à réagir de se mettre à son service. Ils participent à la fête, mais n’en sont pas les héros. On souhaite donc bien célébrer un individu ou un groupe, qui raconte de lui une nouvelle histoire, qu’il lui tient à cœur pour différentes raisons de faire connaître autour de lui.

Ceci posé, je vous livre en vrac des mots qui me sont venus :

forum, assemblée, témoins, identité, rituel, re-narration, événement, surprise-partie, histoire, récit, collectivité, mise en scène, lecture, club, miroir, réflexivité, équipes réfléchissantes, fête, festival, gala, protocole, identification, théâtralisation, représentation, célébration, reconnaissance, ressource identitaire, comédie, intensification, manifestation collective, commémoration, séance, liturgie, communion, définir, dramatisation, déterminer, performance, réunion, garden-party, cercle, conférence, débat, meeting, public, récital, épaissir, enrichir, récréation, java, caractérisation, parole, expression, honorer, rencontre, match, répondre, table ronde, carrefour, image, colloque, task force, veillée, etc.

… sans pour autant trouver quoi faire avec à ce jour !

Estime-party ? Témoins-party ?… Bof, rien de très convaincant encore… Un anglicisme ? Les entreprises et leurs cadres en sont friands en général. Ou bien : Cercle définitionnel ? Conférence miroir ? Forum narratif ?… ou tout simplement, Réunion ou assemblée définitionnelle ?… Je ne sais pas…

Pour l’instant, je sèche et lance ici un appel à contributions ! Peut-être qu’à nous tous…

1 Rapidement, et probablement aussi de façon très raccourcie : j’engage tous ceux qui voudraient approfondir le sujet à revenir aux sources de Michael White, cf. bibliographie jointe à « Maps of narrative practice ».
2 Longuement décrite et documentée par Michael White dans le même ouvrage.
3 « Collective Narrative Practise », en cours de traduction.
4 “En effet, le mot “ceremony” n’est pas vraiment approprié. Nous penchons pour celui de “célébration”, dans un sens plus informel… mais réfléchissons encore. Les sources auxquelles se réfèrent michael White et David Epston quand ils décident d’introduire le terme “ceremony” dans leur pratique ne sont pas disponibles en Russie. Il va d’ailleurs falloir y remédier.”

3 réflexions au sujet de « Les cérémonies définitionnelles et l’entreprise »

  1. Chère Catherine,
    Si tu n’as pas encore trouvé la formule, je t’envoie ces réflexions

    “cérémonie définitionnelle” m’interpelle depuis ma rencontre avec la narrative

    je suis amenée à penser qu’en anglais le terme “ceremony” ne veut pas forcément dire “cérémonie”
    je te donne un exemple : en danse écossaise, à chaque rencontre, la présence du MC (master of ceremony) est indispensable. Il/elle rappelle, avant chaque danse, l’enchaînement des figures à faire pour danser la danse correctement. MC veut donc dire simplement, celui ou celle qui est responsable du bon déroulement de la rencontre.

    je suis pourtant consciente que la présence de témoins est un évènement majeur, à teneur exceptionnelle, du travail client/thérapeute ou coach/équipe
    il est clair que l’expression doit résumer que la présence des témoins soutient et renforce l’identité de la personne ou de l’équipe : “ressource identitaire” me parle

    Il me vient , comme idée à creuser : l’authentification de l’identité par des témoignages (ou des témoins)
    ou l’ancrage de l’identité par une rencontre solennelle avec des témoins

    c’est vraiment difficile de trouver les termes justes et évocateurs

    Bon courage et très bonne année à toi. je te souhaite plein de bonnes choses, tant dans ta vie personnelle que dans ton activité de traductrice
    Fanny

  2. Oops désolé, ceci est un ancien article qui avait été publié en mai dernier, et que j’ai remis en ligne en même temps que je remets un certain nombre des anciens articles de ce blog que j’avais supprimés à mon retour d’Australie. Cet article et son thème datent de la traduction de « qu’est-ce que l’approche narrative ? » d’Alice Morgan que Catherine a traduit, et des nombreux débats que nous avons eu sur la traduction de termes comme cérémonie définitionnelle, redevenir auteur, remembrement, etc. ces débats sont un peu dépassés aujourd’hui et nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de traductions, nous avons eu l’occasion d’en reparler avec Stephen Madigan en septembre dernier, à Arcachon, autour de l’idée que toute traduction est une “re-performance” du texte original et du projet de créer un glossaire international des expressions narratives, mettant en exergue les connotations culturelles et contextuelles de chaque option de traduction dans chaque langue. PBS

  3. De mon point de vue lointain je le perçois moi comme une officialisation lors d’une session en groupe choisi tout simplement ou bien une réunion publique dans le sens le plus noble… Je suivrai vos débats avec intérêt car c’est vraiment un moment clé et bien plus vrai et utile je pense qu’une réunion de bouclage d’accompagnement en tripartite…

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