Depuis plusieurs années, Serge Mori tisse des passerelles entre ses bases freudo-lacaniennes et les thérapies narratives dont il est l’un des représentants les plus féconds.
Nous le côtoyons régulièrement dans le cadre du groupe “Repasseurs d’Histoires” dont il est l’un des fondateurs. Avec (ou malgré) son double doctorat “mainstream” de psychologie et de psychopathologie, Serge milite inlassablement pour le développement des pratiques narratives en langue française et surtout, pour ne pas oublier leur articulation avec une pratique clinique dans un pays où pour des raisons d’historicité, ces pratiques ont eu tendance à se “coachiser”, avec tous les risques de dérives que cela comporte. N’oublions pas que le véritable introducteur des pratiques narratives en France est un médecin psychiatre de Nantes, le Dr. Julien Betbèze, et que le terrain où elles se sont développées Down Under est celui des thérapies familiales et sociales.
Dans ce nouvel ouvrage, Serge prend le parti d’inviter le lecteur dans son cabinet et de laisser se dérouler les histoires des enfants et des familles qu’il accompagne. Reprenant quelques grands classiques tels que l’histoire du “THAD” bien connue des lecteurs de “Maps” (en langue française : “cartes des pratiques narratives”, par Michael White, Ed. SATAS), il cite aussi bien Alice Morgan que Boris Cyrulnik ou Jerome Bruner. Sa lecture narrative du complexe d’Oedipe fait naître de nombreuses questions intéressantes.
Marie-Nathalie Beaudoin, que nous connaissons bien pour l’avoir invitée à Paris en 2013, voit son travail présenté ici assez en détail, probablement pour la première fois en langue française (dans l’attente de la traduction de son “Skillionnaire” par Fanny Moureaux-Néry dont la publication est imminente… depuis un certain temps). On pourra regretter que le projecteur ne soit pas un peu plus dirigé sur David Epston qui est en train de révolutionner les PN qu’il a co-fondées avec Michael White, avec ses “insider witness practices” ainsi que bien sûr de Maître Erickson. Mais voici un livre qui réussit à s’adresser à la fois aux parents et aux professionnels de l’accompagnement, en déconstruisant conjointement les histoires dominantes de parents et de thérapeutes parfaits.
On appréciera particulièrement l’histoire de Sylvain qui fait des boulettes de papier avec tous ses cahiers, et toutes ces anecdotes modestes et sublimes qui montrent, pour paraphraser Guy Ausloos, la “compétence des familles”. Voici un livre chaleureux et enthousiaste, le livre d’un thérapeute qui ne se laisse définir par aucune histoire dominante saturante, fût-ce celle de Sigismund Schlomo.
Pierre Blanc-Sahnoun
Pour en savoir plus :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=46246