Moi, mutant

Marlo Morgan a peut-être inventé toute l'histoire (voir les commentaires)... à méditer pour un prochain post et pour continuer le débat !
Marlo Morgan a peut-être inventé toute l’histoire et elle a été vilipendée par les Aborigènes eux-mêmes (voir les commentaires)… à méditer pour un prochain post et pour continuer le débat !

Il y a deux rencontres rares qui m’ont scotché cette semaine : celle avec un grand livre de sagesse Aborigène et un moment de grâce passé avec Daria Kutuzova, l’étoile montante de la Narrative russe, en visite à Bordeaux pour les élèves de la Fabrique Narrative.

Je ne sais pas laquelle des deux est la plus extraordinaire quoique je sente bien qu’à un certain niveau, ces deux choses soient probablement liées, mais je vais parler de “Message des hommes vrais au monde mutant”, de Marlo Morgan (Ed. J’ai Lu) que m’a fait lire (merci !) Michèle Gauthier et qui a été ma plus grosse claque littéraire depuis “l’espèce fabulatrice”.

Ce livre raconte l’odyssée de Marlo Morgan, femme médecin américaine travaillant sur des programmes sociaux en Australie, aux côtés d’une communauté Aborigène qui se désigne par le nom d'”hommes vrais”, partageant leur vie pendant plusieurs mois d’errance dans le désert intérieur australien. Un voyage intérieur, spirituel et anthropologique qui lui permettra d’être initiée aux façons de vivre, de penser le monde, de soigner, de jouer, d’aimer, de mourir… de ces héritiers de 40000 ans de compétence humaine à vivre.

Se rendant compte peu à peu qu’elle a été choisie par ce peuple qui a décidé de disparaître, pour porter témoignage auprès des incompréhensibles et dangereux “mutants” que nous sommes devenus, Marlo Morgan nous offre le récit très subjectif, à la fois bouleversant et hilarant, de sa randonnée avec ces artistes du lien, de l’amour et du sens. Deux petits extraits :

Quand je décrivis nos fêtes d’anniversaire à mes auditeurs, ils m’écoutèrent avec attention. Je parlai du gâteau, des chansons et des cadeaux, de la bougie que l’on ajoute chaque année. “Pourquoi faites-vous ça, me demandèrent-ils. Pour nous, une célébration fête quelque chose de spécial. Qu’y a t-il de spécial dans le fait de prendre de l’âge ? Cela n’exige aucun effort, cela arrive, voilà tout !”
– Si avancer en âge n’est pas une occasion de fête, que célébrez-vous, alors?
– Le fait de devenir meilleur. Nous fêtons celui qui, par rapport à l’année précédente, est devenu meilleur et plus sage. Comme chacun est seul à pouvoir juger de ses progrès, c’est lui qui dit aux autres que le moment est venu d’organiser la fête.

Un autre extrait :

Je leur proposai un jeu : je leur proposai de se mettre en ligne, puis de partir en courant le plus vite possible.  Celui qui courrait le plus vite serait le vainqueur. Mes compagnons braquèrent sur moi leurs beaux yeux noirs, puis s’entre-regardèrent. Finalement, quelqu’un dit :
– Mais si quelqu’un gagne, tous les autres perdent. Ce n’est pas amusant. Les jeux doivent être amusants. Comment peux tu soumettre quelqu’un à une pareille épreuve pour, après, s’il perd, essayer de le convaincre qu’il est un battant ? Cette démarche est difficile à comprendre. Ca fonctionne, chez toi?

On comprend mieux pourquoi l’approche narrative est née en Australie et comment elle est irriguée à la façon d’une rivière souterraine par cette culture des “hommes vrais”. Cette “exoticisation du quotidien” nous fait mieux appréhender aussi l’effet que cela fait de vivre dans une société mutante au discours dominant tellement envahissant que l’on ne perçoit même plus ses absurdités.

28 réflexions au sujet de « Moi, mutant »

  1. Kalachnikov ? Une confrontation serait-elle comparable aux effets d’un fusil d’assaut ? Si un point de vue critique opère le même genre d’effet qu’une arme de guerre, il y a peut-être exces de brosse à reluire ou de caresses dans le sens du poil. Avant de ressortir des métaphores guerrières, souviens-toi que plaie d’orgueil n’est pas mortelle. Le monde ne sera pas rempli de convertis aux discours de la Fabrique.

    Rectitude narrative. Je n’ai pas contracté l’habitude d’accommoder l’adjectif narratif à toutes les sauces et les pratiques narratives ne sont pas ma vie. Elles sont même secondaires. Rien à voir avec les Pratiques Narratives, les Aborigènes n’ont pas besoin de les connaître pour ressentir un manque de respect. C’est d’eux qu’il s’agit. J’exprimais une sensibilité à la différence culturelle qui nous sépare, nous occidentaux, de ce peuple, une sensibilité que nous ne partageons pas.

    Utiliser une œuvre Aborigène pour faire la publicité des 3èmes journées francophones narratives sans citer le nom de l’auteur, le titre qu’il lui a donné et sans le consulter, presque tout le monde s’en fout. Moi pas. C’est banal.

    Ce comportement m’a rappelé celui de Marlo Morgan quand elle refusait de rencontrer les anciens venus lui expliquer les effets de son livre.

    Je m’accordais la permission de dire que cela me touche au risque assûmé et dérisoire de te/vous déplaire.

  2. Nous avions déjà fait amende honorable en son temps, lors des premiers commentaires soulignant que le livre de Marlo Morgan était ou pouvait être une imposture. Nous étions de bonne foi à la fois dans l’enthousiasme de la découverte de ce livre et dans le recul que nous avons pris ensuite, la première fois que tu as sorti la Kalachnikov. Nous rebalancer 4 ans après exactement la même volée de bois vert pour conclure que “nous n’avons vraiment pas les mêmes valeurs” est à la fois injuste et sévère. Contrairement à toi Stéphane, nous ne sommes pas de parfaits juges de la rectitude narrative, mais inlassablement en chemin et en recherche. Excuse nous si nous ne sommes que de peccables humains.

  3. Cath Ellis enseigne la littérature à l’Université d’Australie, une destination prisée des étudiants américains désireux de compléter leurs études. Un jour elle remarque quelque chose qui la perturbe chaque fois qu’elle accueille des étudiants américains. Quand elle leur demande ce qu’ils connaissaient de l’Australie, ils évoquent ce qu’ils savent à travers les histoires racontées par Marlo Morgan.

    Après enquête, elle décide de publier un post dans l’espoir de tordre définitivement le coup aux idées reçues au sujet des Aborigènes. Titre du post : Marlo Morgan, l’histoire RÉELLE. Sous-titre : mieux comprendre la fabrication d’une Culture Aborigène.

    https://marlomorgan.wordpress.com/helping-yourself-fabrication-of-aboriginal-culture/

    Comment Marlo Morgan a-t-elle inventé ces histoires ? C’est ce par quoi son post commence :

    « En 1985, Marlo Morgan, se rend à Brisbane pour trois ou quatre mois, pour un travail non rémunéré dans une pharmacie. De retour au Missouri, elle commence ensuite à vendre une huile essentielle extraite d’un arbre à thé originaire d’Australie pour Melaleuca Inc, société basée à Idaho Falls. Elle va promouvoir ce produit lors de manifestations commerciales à Kansas City en déclarant au public que pendant son séjour en Australie, elle a aidé un groupe de jeunes Aborigènes à créer son entreprise de moustiquaires. Elle raconte qu’elle s’est ensuite égarée en voyageant à travers le pays (elle pensait recevoir un prix pour son travail avec les jeunes) et a été kidnappée par une tribu aborigène qui l’a forcée à se promener dans le désert. 
    Elle affirmait que ses ravisseurs avaient utilisé de l’huile essentielle pour soigner les blessures subies pendant la marche et que, selon elle, c’était la même huile qui était contenue dans les produits qu’elle offrait à la vente. »

    Le récit s’est étoffé. On lui a demandé de le transcrire par écrit. Au fil des salons, c’est devenu un livret à succès. Six ans plus tard, un livre sera publié dont elle vendra les droits pour 1,7 millions de dollars.

    Voilà pour les intentions. Certes, mais on peut aussi se demander dans quel but cette enseignante de littérature de l’Université d’Australie rédigeait ce post. Elle l’explique à la fin de son post. En relisant le fil de discussion de la Fabrique Narrative j’ai eu du mal à contenir un sourire de tristesse :

    « Ce post espère être un dernier et vibrant rappel : les livres de Morgan n’ont rien à voir avec la culture des autochtones d’Australie. Les histoires racontées sont des fabrications qui se font passer pour « authentiques ». Plus important encore, ces livres préjudiciables aux peuples autochtones satisfont uniquement les besoins des occidentaux qui jouissent déjà de priviléges et du pouvoir. »

    Simple, basique :

    – à qui appartiennent les vies racontées ?
    – qui les racontent ?
    – ceux qui les racontent sont-ils les mêmes que ceux qui les vivent ?
    – si non, ont-ils reçu leur accord ?

    Les Aborigènes d’Australie racontent aussi leurs vies par des œuvres chantées, dansées, dessinées, etc. Ou par des peintures comme celle que la Fabrique utilise aujourd’hui, 9 ans plus tard, pour enjoliver ses invitations. Anonymement, sans citer l’artiste et le nom de son histoire. La fin (faire joli pour attirer l’attention) justifierait les moyens (qu’importe l’auteur). Que le comportement de Marlo Morgan ait été soutenu dans ces colonnes me semble donc logique mais nous n’avons vraiment pas les mêmes valeurs.

    Bien à vous

  4. J’ai lu ce livre passionnément . Peu importe qu’il soit entièrement vrai ou non. Il reste son essence . On prend conscience que la terre ne nous appartient pas. Qu’on ne doit pas la détruire, qu’il faut accepter l’autre avec amour et tolérance. Retrouver de vraies valeurs.

  5. Bonjour à tous,

    J’ai terminé la semaine dernière la lecture de “Message … au monde mutant”. J’ai trouvé cet ouvrage très bien écrit et puissant. Comme un message venu de l’éternité…
    En résumé, que le récit soit une fiction m’importe peu et il me plaît de croire que Marlo Morgan avait besoin de laisser parler son coeur. La dernière phrase du livre n’est-elle pas révélatrice de la force de l’illusion ?
    Par ailleurs, je suis critique vis-à-vis des instances occidentales qui salissent son travail. En effet, Morgan ne fait pas l’apologie de notre société de consommation et en plus, elle a un style littéraire qui doit faire plus d’un jaloux donc, je ne suis pas étonnée, ce qui ne m’empêchera pas de passer une bonne journée !

  6. Si je peux me permettre un “PS” après ces propos déjà bien longs -un PS qui revient un peu à la question de la vérité : hier soir, j’ai repensé à la biographie accablante que Christophe Bourseiller a écrite sur Carlos Castaneda en 2005, parce qu’elle présente un phénomène étonnant. Durant près de 250 pages, Christophe Bourseiller n’établit qu’une seule et même chose : Castaneda a menti sur toute la ligne, il ne faut pas le croire, il s’est même laissé aller à devenir, à la fin de sa vie, un dangereux gourou (ce que je ne mets pas en question : à vrai dire peu m’importe ! Je ne me suis personnellement jamais attachée à l’auteur, mais bien au contenu de ses oeuvres…). Et puis, tout à l’extrême fin de son livre, dans les deux dernières lignes très exactement, il tient ce propos extraordinairement senti : [Oui mais : dans ce “oui mais” tiennent les 244 pages précédentes…. Oui mais, donc] “La poésie ne ment pas. Carlos Castaneda, ou la vérité du mensonge”… Selon moi, il aurait consacré les mêmes 250 pages à développer cette merveilleuse intuition -sinon cette fulgurance- son bouquin aurait été bien plus passionnant -et l’approche narrative aurait certainement enrichi sa réflexion !…

  7. Il paraît que non :o)… Ceci dit, pour le coup, les avis sont partagés, vu que les faits qu’il prétend (il aurait prêté son corps à un lama tibétain qui aurait écrit ses livres, c’est à dire par le biais d’un phénomène de “walk-in”) sont invérifiables de toute façon. Donc pour le coup, on croit vraiment ce qu’on veut… Mais je me suis souvenue de Lobsang Rampa en particulier, en lisant votre réponse, parce que c’est le premier auteur prétendument “affabulateur” qui m’avait faite passer pour une idiote new-age dépourvue d’esprit critique auprès de certains intellos “très sérieux” (oui, le front crispé et tout) qui avaient croisé mon chemin par la suite :o) ! Or le fait est que pour le coup, j’ignorais l’existence de la controverse à l’époque, donc je ne pouvais qu’admettre mon ignorance -quitte à la laisser passer pour de la naïveté… C’est pourquoi je me suis reconnue dans votre réaction. L’inévitable crispation d’amour-propre qui s’en suit généralement nous en dit long sur le poids des idéologies “mainstream”, qui ont pour habitude, de par chez nous, d’humilier celui qui prétendrait mener une quête spirituelle, imaginer des “pourquoi pas”, ou flirter avec l’irrationnel, en le taxant d’épithètes condescendants du genre : “superstitieux”, “mystique”, “rêveur”, “pseudo-scientifique”, quand ce n’est pas carrément “délirant”. En tout cas, il semble admis que quelqu’un de “réellement” intelligent -et sérieux- a le bon goût de ne pas s’intéresser à ces choses -là. Donc je crois que tout individu qui ne s’estime pas trop sot -du moins qui essaie de réfléchir avec sincérité et en se documentant-, et qui, “pourtant”, flirte, par ses lectures et centres d’intérêt du moment, avec le tabou de “l’irrationnel” -c’est à dire qui assume sa subjectivité et sa sensibilité propres, où qu’elles le mènent-, est conditionné à réagir au quart de tour à ce genre de condescendance bien ancrée… Moi-même, j’avoue qu’il m’arrive encore de bouillir à la lecture de certains propos scientistes -à ma grande consternation !- du fait d’avoir été assez fréquemment confrontée à ce genre de situation. Je suis encore loin du détachement rêvé. Mais je me soigne ! :o)…

  8. Je vous remercie pour cette réponse ! La blessure liée au “tacle”, je la comprends du fond des tripes, car je l’ai vécue assez souvent depuis mon adolescence, concernant des récits qui m’inspiraient, qui me touchaient humainement et spirituellement, qui me paraissaient constructifs et sources d’inspiration, alors que pourtant ils étaient “rangés” (de l’art de ranger : bon sujet sociologique…) dans la case “affabulation” ou “roman”. Ca a commencé avec les récits de Lobsang Rampa lorsque j’avais 12 ans et que sur le moment j’ai pris pour argent comptant, par manque d’informations : “affabulation”, me dit-on plus tard. Puis à 14 ans, une vraie révélation personnelle avec la saga des Dames du Lac de Marion Zimmer-Bradley : “fiction romanesque”. Mais c’est vraiment l’oeuvre de Carlos Castaneda -en plus de ses propos et agissements- qui m’ont le plus fait réfléchir à cette notion de vérité, sur laquelle il disserte de bien des façons intelligentes, lorsqu’on veut bien l’entendre… Alors c’est quoi être naïf ? Se laisser toucher ? Sentir que quelque chose est vrai au fond de soi même si son “emballage narratif” se satisfait pas aux critères d’une vérité “historique” qui se voudrait objective, voire “scientifique” ? Ironie : j’ai découvert Castaneda alors que j’étais en troisième année de philo à la fac, à l’âge de 20 ans -et évidemment, les philosophes prétendent chercher, comme les scientifiques, “La” vérité… Autrement dit : rien de plus difficile à assumer comme engouement dans un tel contexte !! Presque autant que mon engouement pour Jung, mis à l’index depuis longtemps dans les facs de philo pour cause de “mysticisme”… Bref. On a beaucoup tué au nom de la vérité ; on a beaucoup discrédité et éliminé de toutes les façons possibles, et on continue parfois de façon indirecte (il n’y a qu’à demander à certains chercheurs qui prétendent étudier -scientifiquement pourtant- le paranormal…. On a éliminé des peuples entiers (amérindiens, aborigènes, “sorcières”, etc…), et on impose à tous aujourd’hui le même mode de vie “moderne” et les mêmes valeurs économiques, au nom d’une discutable notion de progrès, “vérité” qui se voudrait elle-même universelle. Serge Gruzinski parlait de “colonisation de l’imaginaire” à propos des sociétés indigènes du Mexique (j’adore cette expression), mais nous y sommes depuis fort longtemps, nous-mêmes, occidentaux… Alors oui, j’espère qu’il y a d’autres manières, plus humaines, plus sensibles, plus fines, plus sages peut-être, d’envisager la vérité -et je continue de les chercher. Parce qu’il me semble quelquefois que c’est l’avenir du monde lui-même qui en dépend…. Alors, naïveté ou intuition éclairée quant à la nécessité d’un dépassement ? Ce n’est en tout cas pas moi qui jettera la pierre à ceux qui ont pu se laisser “captiver” -et même capturer !- par de tels récits ambigus, taxés d’affabulation. Comme le disait Hermann Hesse : “Nul ne saurait être touché par ce qui ne le concerne pas”…

  9. Commentaire très inspirant qui déconstruit notre notion de “vérité” et donc les activités du Pouvoir et du Privilège lorsqu’ils se servent de la notion de “vérité” pour justifier des pratiques de domination ou des micro-agressions. Les protagonistes de ce débat apprécieront. Personnellement, j’ai voulu partager ma fascination pour les idées lumineuses de ce récit mais à la limite ça m’était égal qu’il soit “vrai” au sens historique du fait que l’expérience, même celle de la “vérité”, n’est que re-construite au travers de notre ingénierie culturelle de sens. J’ai été (un tout petit peu) blessé du tacle sur la “véracité”, comme pris en délit de naïveté face aux Vrais Experts Sérieux au front plissé. Votre commentaire efface cette (toute petite) blessure et met des mots sur ce que je ressentais confusément. Merci.
    PBS

  10. Je viens de terminer à l’instant “Message des hommes vrais au monde mutant”, qui m’a fait une forte impression de justesse (je parle de la justesse du fond et non de la véracité des événements). Et en faisant des recherches sur le débat concernant le récit de Marlo Morgan, je retombe avec amusement sur cet article de votre site -qui ressort décidément fréquemment de lui-même dans mes fréquentations depuis quelques mois :o)… J’ai aussi vu mentionné à plusieurs reprises “‘L’Espèce fabulatrice” : c’est précisément le livre qui m’a accroché au point de me conduire à m’intéresser à l’approche narrative… Concernant “Message des hommes vrais”, je ne peux m’empêcher de songer presque avec lassitude, tellement c’est incoercible et récurrent sous nos latitudes, au débat qui fait encore rage concernant les récits de Carlos Castaneda. “Vrai ou pas vrai” ? “Croire ou ne pas croire selon que c’est dit “vrai” ou “pas vrai”” ? On semble incapable de dépasser ce questionnement duel, qui engage pourtant toute notre attitude ensuite. Sans compter les revendications de propriété culturelle… N’y a t-il pas, dans toute culture particulière, une dimension universelle dont tout le genre humain pourrait profiter (surtout à l’heure actuelle) ? La fiction ne rejoint-elle pas parfois, voire même souvent, des expériences authentiques que nous avons faites, que nous sommes susceptibles de pouvoir faire, ou bien que d’autres ont faites ? Y a-t-il un si grand fossé entre “littérature” (et “expérience littéraire”) et expérience vécue ? Et si oui, alors à quoi sert la littérature ?… Par ailleurs, j’aime personnellement tenir compte de l’héritage de C.G. Jung, même si je sais que les français sont plutôt lacano-freudiens de tradition. Le rêve éveillé (que Jung appelle “l’imagination active”) n’est-il vraiment capable de rien enseigner ? L’imagination est-elle toujours contrôlée par le moi conscient ? Les personnages qui nous apparaissent en “rêve” n’ont-ils pas un certain degré d’autonomie, et ne seraient-ils pas liés à un “inconscient collectif” effectif, gardien de la sagesse de l’humanité ?… Or qu’est-ce que l’écriture d’un roman, sinon une forme d’imagination active ? Toutes ces questions, ces pistes de réflexion en vrac, ici, pour dire qu’ mon sens, nous n’avancerons pas tant que nous n’aurons pas remis en question notre positionnement naïf et duel vis à vis de la notion de “vérité”. Et effectivement, c’est un peu ce que se propose d’accomplir l’approche narrative, d’où le fait que la mise en question de récits comme ceux de Marlo Morgan ou de Carlos Castaneda ait sa place ici. Mais il me semble que c’est toujours un véritable conditionnement, extrêmement puissant, qu’il faut vaincre en nous, pour parvenir à élargir et à nuancer de manière plus subtile notre rapport à la vérité…

  11. Bonjour à tous,

    En retour au commentaire de Stéphane Kovacs, que je remercie pour ses informations. (Je pense indispensable les controverses: elles permettent de placer l’information et l’idée à la place qu’elle doit avoir, et à l’espace qu’elle doit prendre dans nos vies).

    Pour ma part, même si la tentation est très grande de croire que cette histoire est vraie, à la sortie, peu m’importe. J’y ai réfléchis. Ma conclusion personnelle: vraie ou pas, les questionnements auxquels elle invite sont l’essence de ce livre.
    Vérifier si les faits sont réels, si les aborigènes valident ou non, restent pour moi subsidiaire. Car à moins d’aller sur place le vérifier moi-même, je ne pourrais jamais être certaine de la vérité de l’histoire.
    En revanche , je suis certaine de l’éclairage nouveau que ce livre m’apporte, sur ma vie, sur les solutions proposées (imposées) par une société occidentale de plus en plus sauvage et cannibale…

    Mes amitiés à tous: lecteurs assidus de ces pages, et passagers d’un instant.

  12. J ai trouvé votre livre sur les haborigènes tres contruistive J aurais aimé etre avec vous pour apprendre leur harmoni avec la nature,quel beau cadeau que vous avez eu avec eux. Je vous remerci beaucoup pour nous avoir faire partagé votre superbe cadeau

  13. A propos de Marlo Morgan, j’aimerais introduire une complication de plus dans le débat. Je me souviens de mon arrivée à Paris, moi homme du Sud-Ouest dont l’accent ne passe pas inaperçu, et de ce que me disaient mes collègues qui connaissaient ma région pour y avoir passé des vacances. Tout ce qu’ils disaient était exact et pourtant m’agaçait prodigieusement!
    Je ne sais pas la vérité évidemment quant au livre de Marlo Morgan. J’ai vu un site qui comparait des assertions de MM à celles d’ethnologues “autorisés”. Je n’y ai pas vu de trahisons extravagantes.
    Je pense que, lorsque je suis arrivé à Paris, il y avait conflit entre l’image que je voulais projeter et celle que me renvoyait mon environnement. C’était un peu comme si on m’enlevait le volant, fût-ce pour m’emmener au même endroit. Mon impression est que, si MM n’a pas retranscrit avec suffisamment de subtilité ce qu’elle a appris auprès des Aborigènes, ceux-ci de leur côté sont soucieux de ne pas être “folkorisés” par les Occidentaux et par le courant New Age, fût-ce au prix de refuser la diffusion d’aspects réels de leur culture et surtout de refuser que celle-ci soit diffusée par d’autres qu’eux-mêmes. On peut les comprendre.
    Entre les Aborigènes et nous, serait-ce le jeu de “Je t’aime, moi non plus” ?

  14. Oui Catherine, ta réponse a tout à voir avec mon questionnement. la “solution” qu’a trouvé Alice Morgan et que tu nous livre me semble effectivement bien aller dans le bon sens.
    Ce que je me suis dit également en réfléchissant à ça, c’est que certes le coaching narratif émousse l’esprit critique, mais il marche ! Les personnes changent réellement et se sentent beaucoup mieux dans leur nouvelle histoire qu’avant, alors que dans les coachings non narratif, que j’ai pratiqués bien souvent, elles ne changent que très peu voire pas du tout…
    ceci dit, je suis peut être une piètre coach non narrative….
    Donc Pierre, je pense que nous devons réfléchir à documenter et rendre compte à l’entreprise cliente plus largement qu’au simple donneur d’ordre. Nous avons une session sur le sujet à la Fabrique me semble t’il…
    Merci à vous deux de vos réponses.

  15. Bonjour,

    Concernant l’ouvrage de Marlo Morgan, à nouveau je suis gêné d’être celui qui tempère l’enthousiasme que fait naître la lecture de son livre.
    Je ne sais pas s’il faut renoncer à le lire.
    Je ne crois pas que cela ait été l’intention des Aborigènes.
    Leur intention était que quelque chose soit fait de manière à éviter une confusion entre leur histoire, leur identité, leur culture et leurs traditions et la vision romancée que cela a fait naitre dans l’esprit de cette femme.
    Si je peux me permettre cette comparaion audacieuse, c’est comme si dans une cérémonie définitionnelle le narrateur demandait au praticien qu’une distinction soit respectée entre son récit et la résonnance de ce récit exprimée par chaque témoin extérieur.

    Dans leur réaction, les Aborigènes demandent à être les ayants droits de leur identité, de leur Rêve, de leurs traditions et de leur culture.

    Saviez-vous que, même entre eux, quand un membre d’un clan décide de peindre le rêve dont il est propriétaire pour l’exposer ou le vendre, il demande son accord préalable au clan des anciens ?
    La raison est que chaque rêve raconte une histoire qui se déroule dans plusieurs niveaux de réalité dont certains aspects ne sont dévoilés qu’après avoir suivi un rituel d’initiation. Le clan des anciens prend connaissance du projet et décide si oui ou non les informations peuvent être révélées tout en respectant le caractère sacré du récit.

    Néanmoins la fascination et l’émerveillement que vous avez ressenti sont toujours possibles à travers d’autres lectures. De nombreux auteurs occidentaux ont en effet écrit et continuent d’écrire sur les Aborigènes et leur culture en ayant pris soin d’obtenir préalablement leur consentement sur le fond et la forme.

    Voici trois exemples d’ouvrage que l’on peut lire dans la confiance que cet accord préalable a été obtenu et qui ne manqueront pas de réveiller les sentiments que vous avez ressenti :

    – Bruce Chatwin “Le chant des pistes” Edition Le livre de Poche,
    – Femmes de la nuits des temps, Mythes des Aborigènes d’Australie, Recueillis par Katie Langloh Parker et commentés par Johanna Lambert, Éditions AMRITA,
    – N’importe lequel des ouvrages de Barbara Glowczewski (ethnologue française) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Barbara_Glowczewski.

    Bien à vous,
    Stéphane

  16. Alice Morgan montre qu’il est souvent nécessaire d’informer, de prévenir et de faire connaître à l’entourage de la personne son identité alternative émergente. On ne se débarrasse pas comme ça d’une réputation par exemple. Elle cite l’histoire d’un jeune garçon qui avait décidé de revenir en cours et de se remettre à niveau sur le plan scolaire, et qui s’y tenait et faisait d’énormes progrès, seulement voilà : il trimballait une sacrée réputation de mensonges, de fainéantise, de je-m’en-foutisme. Elle a décidé, avec lui, de faire une lettre (signée par elle) à l’attention de tous ceux que ça intéresserait de savoir que ce jeune garçon a changé, ou plutôt est en train de changer, et “merci de le regarder désormais avec d’autres yeux et de me faire savoir en retour tout ce que vous remarquerez qui va dans ce sens”, etc.
    Est-ce que ce que je raconte a un rapport avec ton questionnement, Sandrine ?
    On est obligé d’y croire par principe, sinon, on n’a plus qu’à exercer un autre métier. Je choisis la confiance, en sachant que, rarement, j’aurai tort de le faire. Ce n’est pas de l’angélisme. C’est une prise de risque calculée ! Et une position rare, cultivons-la.

  17. C’est la question centrale, ou en tout cas l’une des questions centrales du coaching narratif : comment faire coexister l’histoire dominante que raconte l’entreprise sur la personne (avec souvent une demande de normalisation confiée au coach) et l’histoire préférée que raconte le client et qui n’a souvent que peu de rapport, voire qui est complètement contradictoire, avec le récit de l’entreprise ? Moi aussi, j’y crois par principe, mais à force d’y croire, cela émousse mon esprit critique…

  18. Malheureusement, je n’étais pas à Bordeaux pour rencontrer Daria, mais l’épisode du monde mutant et surtout le dernier commentaire de Pierre sur la position décentrée du coach narratif m’ont rappelé une surprise un peu douloureuse que je vis avec mes clients. je m’explique: Au cours d’un accompagnent narratif, le coach décentré, assiste à la modification de la vision de lui même qu’à son client. Il y crois ( enfin moi j’y crois) et lors de la “confrontation” avec l’entreprise à la fin de l’accompagnement ou à tout autre moment d’ailleurs, il est subitement confronté à la vision des autres sur le client… ET bien souvent cette vision n’est pas en adéquation avec celle que le client a sur lui même… D’ou interrogation égotique… Me serais je fait avoir ? Mon client ma raconte t’il des salades ?
    Je préfère croire quand à moi, que le processus de changement lié au travail d’accompagnement n’a pas encore fait son chemin et convaincu les alliés du problème… mais ça m’interroge.
    Comment rendre ces changements plus vivants ? Du coup, j’ai invité les alliés comme témoins, je vous dirais si ça a marché…

  19. Daria Kutusova, par contre, est bien réelle. Elle traduit en russe les textes narratifs et travaille à la diffusion de ces idées dans son pays. Elle a été invitée par Pierre à la Coop RH.
    Nous avons passé à Bordeaux un moment riche. Les ateliers de la Fabrique et ce type de rencontres nous permettent d’élargir les cercles, en attendant d’aller nous-mêmes à la rencontre des autres, qui sait.
    Pour moi, qui ai au départ une approche livresque de l’approche narrative, Il a été évidemment très enrichissant d’écouter Daria parler de ses activités et de l’intérêt qu’elle y trouve. Les publications en général créent une distance entre l’auteur et moi, le simple fait de publier plaçant l’auteur sur une sorte de piédestal (et même s’il s’en défend… et même si parfois, il ne le mérite pas !). Cette distance existe moins dans le face à face où les idées et les pratiques, incarnées, deviennent plus abordables. Est-ce pour ça que le e-learning n’est pas destiné à remplacer l’intervention des enseignants qui accepteront de changer de posture, mais juste à les assister ?
    J’ai, pour ma part, bien sûr partagé avec Daria les questionnements liées à la traduction de la langue narrative et j’espère pouvoir échanger avec elle sur ces sujets par la suite.
    Merci Pierre de nous avoir invités à participer à cette rencontre.

  20. Je retrouve internet après dix jours de désert multimédia; et je lis tes deux derniers articles à la suite. iL me semble que ta grise mine de ‘geographie de la déception’ t’a précipité dans le gouffre de la fée Morgan! bel épaississem:ent qui grace a Stéphane fut desepaissi en moin de deux,.
    SALUT

  21. Merci Pierre pour cette bonne leçon à retenir.
    J’ai commis une même erreur en publiant sur mon blog une photo truquée…
    Un geste “héroïque” ! je la sentais/savais fausse… mais je n’ai pas résisté à la tentation de la diffuser. Je voulais y croire ! C’était tellement beau… hélas trop pour être vrai !

  22. Quitte à se faire avoir (ce n’est pas de l’auto-flagellation), autant essayer d’en tirer des conclusions intéressantes sur ce qui chez moi, se fait facilement recruter par une histoire qu’un peu de distance critique permettrait effectivement d’assimiler à une variation yankee sur le bon sauvage rousseauiste.
    Nous interprétons les histoires qui nous sont proposées en les agglomérant à des histoires dominantes ou préférées déjà présentes dans nos intentions, nos espoirs et nos rêves et l’écoute des histoires de clients dans une posture décentrée ne favorise pas le développement de la distance critique. En ce qui me concerne, je pense depuis longtemps, et bien avant la lecture de ce livre, que notre société a muté de façon dangereuse et discutable et qu’elle nous a fait perdre notamment une certaine conscience de l’appartenance à un tout unitaire et harmonieux, et un art du lien social qui nous relie à la fois aux autres en nous-mêmes (d’où l’intérêt du remembrement) et aux autres en eux-mêmes (d’où l’intérêt des cérémonies définitionnelles), réduisant la représentation de l’individu, comme l’a décrit Foucault, à un corps isolé et non relié, facile à étiqueter, à gouverner et à enfermer. La forme de rapports sociaux et la cosmogonie, même fantaisiste, prêtée aux Hommes Vrais par Marlo Morgan rejoint et renforce mes propres rêves sur la possibilité d’une vie simple et dépouillée, orientée vers le progrès spirituel et le développement moral, en petites unités gouvernées par des rapports sociaux solidaires et respectueux. Voilà, au delà du hoax qui me scandalise car il se fait pour des motifs de business et en piétinant la véritable culture minoritaire dont ses protagonistes sont auteurs, ce qui résonne tout de même avec des choses essentielles de mes espoirs, de mes rêves et de mes engagements.
    Ce n’est certes pas une raison pour accréditer dans mon blog et continuer à épaissir une fiction approximative présentée sous les traits d’un témoignage vécu. Je préfère à ce moment là relire Harry Potter, qui ne se présente pas comme une initiation magique à laquelle J.K. Rowling aurait été conviée par les professeurs de Poudlard afin d’en rendre compte auprès des Moldus, et où les valeurs proposées sont à peu près les mêmes, mais la distance romanesque permet de se les attribuer sans escroquerie. Merci encore Stéphane pour ce nettoyage de lunettes, même si l’eau de javel pique un peu les yeux. Nous ne sommes jamais totalement décollés de notre historicité et de notre culture. Une bonne leçon à retenir.

  23. Merci beaucoup Stéphane. Il semblerait que je me sois fait avoir dans les grandes largeurs. L’examen de ce matériel précis et abondant ne laisse que peu de doutes. Je vais réfléchir à ce qui a pu déclencher chez moi cette émotion et cette fascination pour ce parcours, et faire taire les questions de bon sens posées par ce livre et reprises beaucoup plus doctement pas les différents articles. Cela pose beaucoup de questions, y compris la puissance de la machine à diffuser des histoires écrites occidentales dans l’épaississement d’un récit dominant marqué par une posture culturelle colonialiste. Quant à la photo de l’homme aborigène présenté en illustration de l’article, ignorant son nom, son clan, sa tribu et son rêve, je l’ai remplacée par celle de Marlo Morgan, on moins on sait qui c’est , maintenant !

  24. Désolé de l’éventuel effet douche froide de ce commentaire, mais le livre auquel vous faites allusion a rencontré la déception, la tristesse et la colère des Aborigènes d’Australie.

    Plutôt que de décrire moi-même cette triste controverse, je vous communique quelques fragments venant d’une moisson opérée grâce à Google avec le filet : marlo morgan dispute with aboriginal

    http://www.independent.co.uk/news/world/truth-goes-walkabout-in-outback-aborigines-outraged-as-us-author-makes-a-million-with-new-age-fantasy-of-lost-tribe-in-the-bush-1389189.html
    Un article de the independent publié en décembre 1994

    http://www.petergeyer.com.au/library/bookrev1.php
    Le regard critique et acerbe d’un coach australien sur le livre de Marlo Morgan.

    http://works.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1047&context=matthew_rimmer
    Présentation de l’ouvrage « The artist is a thief » par l’écrivain et spécialiste des questions de droit et de propriété intellectuelle Stephen Gray dans le cadre d’une conférence donnée à la Faculté de Droit de l’Université Nationale d’Australie
    Extrait : “He (Stephen Gray) also taps into scandals over fake Aboriginal art and literature – such as the Elizabeth Durack paintings, the Wongar persona, and the Marlo Morgan books.

    http://hubpages.com/hub/Mustant-Message-Down-Under
    “Mutant Message Down Under – Misinformation & Mistrust”

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Marlo_Morgan
    Un point de vue collaboratif

    ps : la photo de l’homme aborigène utilisée pour illustrer cet article ne dit pas qui il est, quel est son nom, son clan, sa tribu, éventuellement son rêve alors que cet homme a existé et existe peut-être encore aujourd’hui.

  25. Une grosse claque, bien dit ! L’Espèce Fabulatrice est devenue ma “bible de chevet” ! Chaque relecture est une découverte, une autre compréhension… une révélation !
    Lignes de Faille, Dolce Agonia… sont, de mon point de vue, des romans narratifs…. ce ne sont pas les seuls !
    Vous aurez compris que j’aime passionnément cette auteure.

  26. Dans mes valises ! Je suis partie en Bulgarie avec peu de livres, mais celui là est dans ma bibliothèque… précieusement conservé ! je l’ouvre au hasard
    – “Tout comme un musicien, l’univers lui-même aspire à s’exprimer musicalement”.
    Des bijoux à lire comme celui là sont de vrais joyaux… Merci de m’avoir donné l’envie de le relire !

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