Par Martine Compagnon.
Comment développer une communauté telle que la nôtre, praticien.ne.s narratif.ve.s de langue française, sans nous isoler peu à peu ? Comment conjuguer culture commune et ouverture sur l’environnement ? Comment nous adapter à l’intérêt grandissant des personnes, curieuses d’en savoir plus sur les approches narratives ?
Une de mes amies a assisté il y a peu à la Journée Découverte des Pratiques Narratives proposée à Paris. Nous en avons reparlé il y a quelques jours, en prenant un thé… Son retour m’a arrêté sur place : “vous parlez un langage d’initiés difficile à comprendre”.
Je connais cette amie de près de 30 ans, Anne, comme ostéopathe et professeure de yoga. J’imagine que cela l’a conduit à peaufiner, sans même y penser aujourd’hui, un langage très simple. Je l’ai déjà entendu m’expliquer que je dois souffler “jusqu’à ce que mon ventre semble se coller à ma colonne vertébrale” ou qu’il faut “replier les pieds vers moi, comme de petits porte-manteaux”. Cela me va bien. Anne a, de son côté, une longue histoire de formations à plusieurs aspects d’accompagnement thérapeutique.
Je me suis donc remémoré mes derniers échanges à propos de narrative en milieu “ouvert” : c’est-à-dire intégrant des personnes non formées aux pratiques narratives, et désireuses d’en savoir plus. Les situations les plus récentes sont par exemple les conférences qui ont lieu au 104, rue de Vaugirard. Illustration d’un lieu qui peut rassembler à la fois des praticiens expérimentés, et des curieux attentifs.
J’y suis intervenue récemment, et j’y ai entendu d’autres conférencier.e.s, passionnant.e.s.
Lorsque j’y repense, j’entends effectivement, dans ma bouche, les termes couler : position décentrée, externaliser le problème, histoiriser, champ de l’identité ou de l’action, remembrement, club de vie, échafaudage, épaissir une histoire préférée… Des termes qui nous facilitent la vie entre personnes ayant été formées, parce que cela me fait gagner quelques périphrases. Et qui gardent trace de l’engagement de nos traducteurs.trices des anglicismes d’origine.
Mais comment leur donner de nouveau aspérités, couleur, odeur, simplicité, pour les offrir à des personnes qui les entendent pour la première fois avec ce sens-là ?
C’est décidé… je porterai plus d’attention à redonner vie à ces idées : à chercher l’exemple, remonter le fil de ce que les interlocuteurs comprennent ou ignorent, être à l’écoute des métaphores, tisser les descriptions concrètes.
“Je serai (dans une position) décentrée” = Je serai dans une position d’écoute, humble et candide… c’est vous qui savez (j’aimerais vous écouter en vous donnant absolument la place centrale, en oubliant ce que je crois savoir alors même que nous parlons de vous, et de votre vie…Personne ne connait mieux que vous votre vie et les difficultés, ou succès, que vous rencontrez…).
“Externaliser le problème” = imaginer le problème sous la forme d’un personnage, extérieur à chacun de nous, qui a sa vie propre…
Ceci ressemble à la façon dont je cherche à préciser mes intentions (encore un terme à re-colorer, je pense) lorsque je présente une façon de faire à une équipe d’entreprise, prête à tenter une aventure partagée… Comment penser à faire aussi concret, lorsque je présente les approches narratives à des publics plus larges ?
Je suis preneuse de vos suggestions de vocabulaire ! Merci de votre aide…
Merci Martine pour ce questionnement intéressant. Que penses-tu d’une approche inspirée par les contes?
“Devenir auteur de sa vie” deviendrait “c’est toi qui choisis l’histoire que tu veux raconter”
“Externaliser le problème” serait lui donner un corps d’ogre, de sorcière, de loup, de monstre….
“Le paysage de l’action” c’est les aventures que tu vis.
“Le paysage de l’identité” c’est la morale de ton histoire.
“Le paysage des relations” ce sont les personnes rencontrées tout au long du récit.
“Le club de vie” ce sont les personnes qui t’ont soutenu, ou tout juste plu ; celles qui ont une place dans ton coeur.
“Le coach narratif” est celui qui écoute l’histoire et qui est curieux d’en savoir plus pour comprendre.
“Histoiriser” c’est aller fouiller dans le récit des aventures non racontées, rajouter des chapitres au conte.
Why not?
Merci de vos retours et commentaires.
Merci, Fabrice, du rappel sur la facilitation graphique, que j’avais oubliée !
cela me conforte dans le chemin de parler simple, au prix de rallonger les phrases 🙂
Merci Martine. C’est une question pour ne pas dire un problème qui me titille depuis le début.
Anne dit “« vous parlez un langage d’initiés difficile à comprendre ». C’est un “jargon” comme en ont pratiquement toutes le professions.
Sans vouloir me faire de pub, en publiant mon livre, outre le désir de répondre à la question “Qu’est ce qu’une thérapie narrative” j’ai également pu démontrer que la narrative pouvait être claire et simple à travers nos mots (maux ?) de tous les jours.
Comment ne pas évoquer ici Nancy Huston qui, dans un langage clair et accessible, a écrit “L’espèce Fabulatrice” – Actes Sud –
“PARLER, CE N’EST PAS SEULEMENT NOMMER, RENDRE COMPTE DU RÉEL; C’EST AUSSI, TOUJOURS, LE FAÇONNER, L’INTERPRÉTER ET L’INVENTER”
Pas de jargon chez elle… “NOUS SOMMES L’ESPÈCE FABULATRICE”
N’est ce pas d’une éclatante simplicité ?
Je me dis aussi que la facilitation graphique que tu réalises régulièrement lors de nos master classes peut aussi être un moyen de constituer un dictionnaire illustré des termes employés dans les pratiques narratives.
Bonjour je suis Anne-Béatrice Leygues Ostéopathe et Yogi de longue date évoquée par Martine.
Pour avoir participé à la journée de présentation avec Elizabeth et Dina j’ai pu apprécier leurs approches pédagogiques et goûter à qques exercices savoureux.
Merci Martine de m’avoir fait découvrir la Fabrique Narrative et à chacun pour votre ouverture d’esprit.
À Bientôt
Anne-Béatrice
Ce que j’essaie de faire, c’est de m’intéresser à l’univers identitaire de la personne, puis de proposer des métaphores tirées de cet univers. Par exemple, pour un client qui joue au rugby, je lui dis (pour parler de la posture décentrée) : “je resterai sur le banc de touche parce que c’est toi qui es sur le terrain mais je serai hyper attentif au match”. C’est un travail de transposition assez rigolo en plus.
Pour les “cérémonies définitionnelles”, en entreprise, je dis plutôt “meetings narratifs”, etc. Mais je n’explique pas trop. Parce que je préfère faire vivre les choses que de les expliquer.
Par contre, sur le langage d’initiés, c’est plus sérieux. Merci Martine d’avoir levé ce lièvre. Nous voyons les angles morts que crée notre position dans le système. Ne devenons pas une aimable secte de doux illuminés. D’autres s’en chargent déjà… Restons résolument des chercheurs sociaux attentifs aux codes de narration qu’ils diffusent, puisque nos récits de la narrative créent des représentations. C’est bien que ton amie t’ait dit que nous avions tendance à jargonner. Ca aide vraiment. Gardons les pieds nus.
Merci Martine ! Ton texte résonne en moi ! Je m’attache depuis plusieurs mois à la “pédagogie” autour et alentours des pratiques narratives… un défi paradoxal pour une praticienne narrative, non ? Partir du langage de l’autre, en toute humilité, pour transmettre et donner vie à une posture, à des idées, à des façons d’agir dans la relation… Et bien, pas si simple… Je remets mon ouvrage sur le métier encore et encore…
Je trouve très intéressante cette démarche.
Peut-être serait-il intéressant d’identifier le vocabulaire à “traduire” ?
Et de trouver un exemple parlant pour chacun d’entre eux, de manière à illustrer.
Le dictionnaire de la Narrative illustré (mais par des récits !!) ? 😉