Par Noëllyne Bernard
Dans les grandes et dans les petites entreprises, un thème narratif fort, où chacun se trouve, dans notre société, défini par son travail … Un compte-rendu de la conférence donnée le 11 juin dans le cadre des conférences de la Fabrique Narrative.
La souffrance au travail touche ce que le travail fait aux individus, ce que le travail leur a fait et les histoires que l’on entend, les expériences de chacun, livrent souvent des choses relevant d’une histoire commune, d’expériences similaires, du « connu »…. d’histoires dominantes !
Je me suis intéressée de longues dates à ce que produit la connaissance sur ce sujet, et en particulier par les psychiatres, les sociologues, les consultants tels que entre autre : Marie Pezé, Christophe Dejours, Philippe d’Iribarne, Danièle Linhart … Les traumatismes liés à cet univers, affectent tellement de personnes, y compris parmi ceux qui les écoutent, que c’est un sujet où accompagner à changer cette souffrance particulière, nous amène régulièrement à nous même.
La souffrance au travail : une histoire dominante, dont se sont emparé les cabinets de conseil ( qui accompagnent à la gestion aux changements ), les coachs ( qui accompagnent l’individu à donner du sens à son travail), les formateurs (qui forment à la gestion du stress où à la gestion des émotions), les services de santé au travail ( ceux qui mette en place des numéro vert ou les autres ), les organisations syndicales ( les CHSCT ) les services de ressources humaines ( qui installent la gestion les risques psycho sociaux et « accordent une part humaine aux salariés »), tous motivés par de bonnes intentions, et tout ceci alimente le problème, le fait vivre et permet aux intervenants quels qu’ils soient, d’en vivre … on s’est trompé en croyant qu’au bout de l’effort et du succès il y aurait l’émancipation. La situation empire.
« Je reçois des salariés qui sont épuisés, accablés, tristes, défaits, sinon détruits. »
Dans nos conversations, si souvent la même histoire, quelques fois des vies détruites et de la douleur, ça commence par ça. Presque toujours la même histoire, la pire, celle qui a envahi le terrain : la “compliance” (obéissance, soumission – NDLR) et ses attributs, les pratiques de gestion du personnel, les pratiques organisationnelles, les pratiques de management, la performance… et une résistance qui détruit.
Bien sûr l’accompagnement narratif, comme dans les autres cas, permet de distinguer : l’individu n’est pas le problème, le problème est le problème.
Pour avoir une influence sur sa souffrance, bien réelle, bien présente, nos conversations sont orientées sur la relation que l’individu a avec son travail, le reste (ce qui a contribué à cet état et qui ne dépends pas de lui et qu’il est nécessaire de reconnaitre) ne changera pas.
Je ne le regarde pas comme une victime, je suis à côté de lui, « j’apporte pour l’écouter tout ce que je sais et tout ce que je ne sais pas »[1], qui je suis, sans quoi mon écoute deviendrait une maltraitance supplémentaire. Le salarié doit pouvoir supporter ce qu’il va dire, et que l’entretien ne soit pas un nouveau traumatisme. Mais je suis convaincue, qu’il a les ressources en lui. Mon intention est de le questionner sur ses expériences, pour lui permettre une nouvelle narration de son identité professionnelle, dont je ne sais rien.
Cette identité professionnelle est reliée à des espoirs, des valeurs (de l’honneur, du courage …), des rêves, des engagements, un métier, des savoirs faires, des qualifications … ce qui le constitue comme un professionnel.
Nous remettons en état de marche la pensée, nous lui donnons la possibilité dans nos conversations d’interroger la relation singulière au travail de chacun.
La relation à son travail, est constituée d’un passé, d’un maintenant et d’un futur : un parcours professionnel et d’une relation à un collectif de travail. Bonne nouvelle : il n’est pas seul …
- Tissage d’histoires de collectifs, de solidarité, histoires qui rassurent, qui épaulent, qui redonnent confiance.
- Eloigner les histoires de réputation cassée, de compétences médiocres, d’honneur bafoué, d’honnêteté contestée.
- Reconnecter à une identité professionnelle commune, à des valeurs communes (peut-être pas celles de la direction ou des actionnaires !)
La posture narrative, ne passe pas par les outils, mais les thèmes propres à ces accompagnements, passent par les histoires de parcours professionnels à revisiter, de collectifs, de métiers … Trouver des histoires disponibles, de ce qui est précieux dans son métier, permet une nouvelle relation avec son travail.
Et en collectif ?
J’accompagne des collectifs de travail, sur les mêmes chemins, ces collectifs sont des ressources. L’envie est grande de contribuer à une émancipation des salariés en souffrance, d’accompagner à ouvrir des portes vers la liberté.
Retrouver les histoires préférées de sa relation au travail, de son métier, du collectif dont on fait partie et les minuscules histoires relatant des expériences réussies, qui redonnent espoir.
Etre auteur de son parcours rend les individus libres, la relation de subordination du contrat de travail fait partie de la relation à son travail, cette relation se trouve interrogée et validée ou invalidée.
Notre questionnement permet de sortir la tête de l’histoire économique dominante : tu n’as pas le choix.
Il redevient auteur en faisant des choix : partir ou rester, et pourquoi ? Trouver une histoire alternative, en très forte concurrence, pour constituer une ressource et retrouver l’espoir.
Noellyne Bernard
Pour les conférences de la Fabrique Narrative à Paris
11 juin 2015.
[1] Marie Pezé. « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés » – Champs actuel. Flammarion 966.
Bonjour,
Je ne sais pas à qui j’adresse ce message…C’est juste pour vous dire que j’apprécie beaucoup cet article, je m’y retrouve comme ex – salariée avoir souffert au travail.
Tellement – que j’ai démissionné après avoir donné pendant 18 ans tout ce que je pouvais. Maintenant je suis dans le vide.
J’appréhende de ré entrer dans ce monde de travail, qui représente le contraire de mes valeurs. Mais on est obligé..
Bonne journée
Britta Riechmann