“THESE GUYS ARE GREAT, AREN’T THEY ?”

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Par Catherine Mengelle

Enfin (!) pourrait-on dire, des nouvelles de TC12 (le colloque “Therapeutic Conversations” de Vancouver en avril dernier) auquel notre envoyée spéciale de la Fabrique Narrative a participé, manifestement avec jubilation !

J’ai eu la chance et l’honneur, après cinq jours de road trip à travers les grands espaces de la Colombie Britannique, d’assister fin avril 2015 aux douzièmes journées des « Therapeutic Conversations » (TC 12) organisées par Stephen Madigan et tous ceux de la Vancouver School of Narrative Therapy, là-bas à Vancouver !

Trois jours d’ateliers au choix, ouverts par le chant et la prière d’un indien (on dit « First Nations »). Son grand-père lui a donné le nom de « Grand Guerrier », ce qui amène un sourire doux sur ses lèvres. Un très petit nombre d’entre eux a survécu à l’implantation des colons. Pillage des cimetières, caractérisation de race inférieure, ravages de la variole, violation des terres sacrées désormais enfouies sous des couches de béton, de ponts autoroutiers, de gratte-ciels, de zones commerciales… des pans entiers de culture perdus, ceux qui détiennent les savoirs très puissants ne les transmettant qu’à ceux capables de les porter à leur tour. Et tellement sont morts sans avoir la possibilité de le faire. La question de la réparation est très prégnante à Vancouver.

Longue introduction de la 1ère journée par David Epston qui rappelle que tout ne s’est pas arrêté avec la disparition de Michael, qui n’avait nullement l’intention avec « Maps » de figer sa pratique et comptait bien tout remettre à zéro avec David dès l’été 2008.

1er atelier avec Kay Ingamells dont David supervise par email les conversations qu’elle lui retranscrit. Elle déroule une carte heuristique qu’elle a appelée : « Mapping the Magic of David Epston » (cartographier la magie de DE) et dont je ne donne ici qu’un petit aperçu. Elle dit que les histoires sont « round and deep » (tout en rondeurs et en profondeurs) et qu’il doit en être de même pour les questions : les questions « plates » font des conversations qui tournent en rond, alors que les questions « vallonnées » ouvrent de nouveaux paysages, laissent plus de liberté. Elle parle de la nécessité de ne pas se précipiter, « making haste slowly », aller vite lentement, de faire attention aux petits détails : la magie naît de la lenteur et de l’intimité, ralentir invite à la réflexion et au récit. Elle rappelle que s’excuser fait partie de notre pratique, lorsque nous allons trop vite, trop tôt, que nos questions sont trop compliquées, etc. Elle invite au respect et à la courtoisie vis à vis des personnes (mais pas des problèmes !) et incite à poser des questions poétiques, par exemple à Elena, 14 ans, qui veut être astrophysicienne plus tard : « Qu’est-ce qui fait, Elena, que tu regardes le ciel alors que tant de jeunes filles de ton âge préfèrent se regarder dans la glace ? ». Elle propose, après la question qui permet d’ouvrir le casting de la contre histoire, de tricoter les questions suivantes point par point, pour lui donner du corps : il faut la tenir, la suivre. Elle utilise l’expression « leg up enquiries » (questionnement courte-échelle) pour décrire comment enjamber le problème, comment racheter au problème les réputations des gens. Elle suggère de droguer le problème plutôt que de chercher à lui trouver une solution, de le déloger en l’enfumant (« smoke out »), de trouver des façons d’agir innovantes face à lui.

2ème atelier : étude universitaire réalisée sur un groupe d’étudiants affectés par un suicide dans leur entourage et accompagnés de façon narrative pour sortir du silence, du tabou et de l’isolement, et pour se souvenir des moments de vie plutôt que du moment de la mort. Le projet est supervisé par Lorraine Hedkte et John Winslade, dont l’approche narrative du deuil a été présentée lors d’une masterclasse à Bordeaux en 2012. Voir aussi l’article renversant de Michael White : « Say Hullo Again » (Dire bonjour à nouveau), qui a bouleversé le regard sur le deuil « pathologique ». Un des reproches faits à la Thérapie Narrative, c’est de ne pas documenter ses résultats, de ne pas apporter la preuve du bien-fondé de l’approche. La documentation complète de l’étude sera donc accessible ; contactez directement les responsables du projet : Krystal Howard, kjballew@yahoo.com, et Caryn Kruse, clkruse7@gmail.com.

Marcela Polanco ouvre la 2ème journée par un long discours très politique et extrêmement émouvant sur la géopolitique du savoir. Marcela est colombienne et travaille comme thérapeute et enseignante aux États-Unis. Elle évoque avec les larmes aux yeux le discours d’investiture de Harry Truman du 20 janvier 1949, où il invente la notion de sous-développement et se montre insultant vis à vis des peuples comme le sien, les qualifiant d’ignorants, de pauvres, de fragiles, de stagnants… Elle dit : « nous sommes beaucoup plus que ce que l’on dit de nous ». D’après elle, traduire n’est pas le sujet ; traduire les idées narratives revient à participer à la colonisation des pauvres par les riches. Elle préfère rendre hommage au « réalisme magique » de la littérature latino-américaine du XXe siècle (Gabriel Garcia Marquez), comme un savoir et une façon d’être et de vivre spécifiques à son peuple.

3ème atelier : Linda Moxley, thérapeute canadienne, plonge dans ses archives et revient sur l’enseignement de Michael de 1991 à 2007. On suit à travers ses notes d’atelier (1991, 1995, 1997, 2004 et 2007) l’évolution de la pensée et de la pratique de Michael et ses influences : ni Foucault, ni Bruner, ni Myerhoff ne sont cités en 1991. L’Approche Narrative : un projet sans fin, disait-il.
1991 : Karl Tomm, thérapeute familial et enseignant à l’Université de Calgary, invite Michael White en Amérique du Nord pour un 1er atelier. Michael surprend les participants, peu habitués à ça, par une intervention pleine d’humour, de spontanéité, d’humilité et de détachement de soi. Il parle de la posture décentrée mais influente et invite déjà les praticiens à consulter leurs clients (« consulting your consultants ») et à s’intéresser à leurs propres savoirs. Il cite Bourdieu et invite à « exotiser le domestique ». Est présente l’idée que la vie est un projet identitaire, que l’identité est une réalisation sociale plus qu’individuelle, et que les conclusions identitaires se construisent culturellement. En 1991, les idées narratives sont essentiellement déconstructivistes. L’externalisation est là, avec l’exemple célèbre de « Sneaky Poo » (Caca Sournois), l’exception aussi (« unique outcome », terme emprunté à Erving Goffman) avec son autre histoire possible (celle de la résistance au problème), ainsi que la volonté d’une part d’inscrire l’autre histoire dans le temps, d’autre part de lui recruter une audience : « Elizabeth, connais-tu quelqu’un qui ne serait pas du tout surpris de savoir que tu as été capable de résister à Tyrannie ? ». Il est déjà intéressé par le pouvoir inspirant de la poésie et il cite Gaston Bachelard et sa « Poétique de l’espace » (« L’image est avant la pensée »). Il explique finalement qu’il faut commencer par réévaluer le sentiment de soi et que les actes suivent d’eux-mêmes.

1995 : Michael s’intéresse aux systèmes plus larges, au social, à l’injustice. Barbara Wingard, travailleuse sociale aborigène, a rejoint l’équipe du Dulwich Centre en 1994. Il fait évoluer les équipes réfléchissantes en faveur de non professionnels (pas encore appelés témoins extérieurs) et en développant les quatre questions que nous connaissons ; il explique que dire à une personne qu’elle est merveilleuse est une évaluation positive mais n’en reste pas moins un jugement d’un intérêt thérapeutique limité ; il s’agit de dire pourquoi on le pense et ce qui touche particulièrement. Il évoque Martin Buber et son ouvrage « Je et Tu », préfacé par Gaston Bachelard, qui qualifie son auteur de philosophe de la rencontre et de la réciprocité. Il reparle de l’externalisation et dit que les conversations externalisées sont des contre-pratiques face aux discours modernes internalisants. À la métaphore guerrière de lutte contre les problèmes, il préfère celle de la protestation, de la résistance. Michel Foucault pointe son nez, notamment avec le traitement de l’anorexie. Michael présente également le processus en zigzag entre les paysages de l’action et de la conscience (pas encore de l’identité). S’intéressant aux questions d’éthique, il commence à envisager la supervision comme un travail de re-authoring.

1997 : Il insiste sur l’éthique. Il situe les pratiques narratives (il abandonne le terme « thérapie » trop connoté) dans le mouvement post-structuraliste. Il utilise une nouvelle expression : « sparkling events » (pépites) et oppose les conclusions minces au développement de descriptions plus riches. Il présente cette année-là moins les philosophes que les gens du Dulwich Centre, mais il cite toutefois Einstein : « Les idéaux qui ont guidé ma route et qui m’ont donné le courage d’affronter la vie jours après jours avec bonne humeur ont été la gentillesse, la beauté et la vérité. […] les biens, l’apparence, le succès, le luxe, ont toujours été méprisables à mes yeux ». Intéressé par la métaphore du rite de passage, il a développé à partir des travaux de Barbara Meierhoff le concept du « re-membering », qu’il présente au groupe cette année-là.

2004 : il aborde une toute nouvelle idée, l’absent mais implicite. Malheureusement, à ce moment-là de l’atelier, ma concentration se relâche… J’ai simplement noté les évolutions terminologiques suivantes, évoquées entre 2004 et 2007 :

–        « Unique initiative » (initiative unique) préféré à « unique outcome » (résultat unique)… mais c’est « unique outcome » qu’il utilise dans Maps

–        « Narrative practices » préféré à « narrative therapy »

–        « Landscape of identity » préféré à « landscape of consciousness »

–        « outsider witnesses » (témoins extérieurs) préféré à « reflecting team » (équipe réfléchissante)

ainsi que l’insistance sur l’inversion de la hiérarchie du savoir, pour accroître l’autorité de la personne ; il amène la notion de « insider knowledge » (les savoirs des gens eux-mêmes) par opposition à « outsider knowledge » (le savoir des experts). C’est aussi la période où l’équipe développe de plus en plus le travail communautaire et les pratiques collectives.

4ème atelier : mon préféré ! Le plus rafraîchissant, novateur, joyeux, enthousiasmant. Travis Heath (jeune psychothérapeute américain porteur de dreadlocks) et Paulo Arroyo (rappeur et étudiant en psychologie) présentent leur travail auprès de jeunes en difficulté, avec qui tout a déjà été tenté, « perdus pour la thérapie ». Ça se passe à Denver, dans des quartiers où les jeunes (« kids » en hip hop) se tirent dessus et croisent la mort au quotidien. Ils ont les écouteurs vissés sur les oreilles, ce qui rend évidemment le travail thérapeutique classique difficile ! Travis a choisi de commencer sur leur terrain (« start where they are »), en leur demandant : « Qu’est-ce que tu écoutes comme musique ? ». S’est développé à partir de là un accompagnement narratif basé sur les mots du rap et décrit dans un article publié dans « the International Journal of Narrative Therapy and Community Work, 2014, n° 3 : Hip Hop Music and Narrative Therapy », que je suis en train de traduire. Leur démarche est politique : elle donne une voix à ceux que personne n’écoute jamais. Leurs conversations ne visent pas au respect des lois mais posent la question : que faites-vous de différent ? (« What are you doing differently ? »).

C’est Nina Tejs-Jørring qui introduit avec vivacité et humour la 3ème journée. Psychiatre, elle dirige un centre de santé mentale pour enfants et adolescents au Danemark et a David Epston comme mentor depuis très longtemps. Avec son aide, elle a initié dans ses équipes un système d’envoi systématique d’emails aux familles après les séances, sous la forme de notes médicales rédigées autour de la question suivante : qu’avons-nous particulièrement apprécié chez cette famille ? Cette initiative a bouleversé le regard que les équipes médicales posent sur les familles après les séances, auparavant souvent négatif et désespéré. Les familles ont témoigné à quel point elles trouvaient agréable l’idée que les équipes parlent d’elles de cette façon après leur départ.

5ème atelier : Stephen Madigan (Canada) et David Nylund (USA) déroulent en « live » leur art du questionnement thérapeutique, le « Discovery Learning », fondé entre autres sur :

–        la double écoute (celle qui entend les activités du problème mais aussi les efforts de résistance de la personne)

–        l’anti-individualisme (l’anorexie n’est pas le problème d’une famille ou d’une personne, c’est un problème qui touche tout le monde… simplement certains font mieux que les autres),

–        le post-structuralisme (ils ne s’intéressent pas à la cohérence, à la vérité, à l’unification, mais au contraire aux décalages, aux fissures, au côté multi-histoires de la vie des gens),

–        et le constructionnisme social (les idées se construisent au sein d’une culture).

Leur processus : Stephen interviewe un/une participant-e, puis David supervise Stephen devant la personne, à qui il fait également un re-telling sous forme de lettre lue à haute voix, puis ils inversent leurs deux rôles avec un/une autre volontaire. La question de départ est : « Y a-t-il une situation particulièrement difficile que tu es fier d’avoir surmontée dans ta vie ? ». La carte de questionnement explore ensuite :

–        les effets de cette situation dans la vie de la personne,

–        comment elle a fait pour leur résister et survivre (paysage de l’action),

–        ce que cela dit de ce qui est important pour elle (paysage de l’identité),

–        ce que cela fait à la personne de se reconnecter avec ces choses-là,  ce que cela lui ouvre comme perspectives,

–        le choix d’un nom pour l’histoire identitaire alternative.

Dans les lettres, ils reprennent les mots et le déroulé de la conversation, y ajoutent leur patte, leurs idées, leurs questions, et disent comment ils ont été touchés. C’est du re-telling « à bosses », mâtiné de témoignage ! La lettre est lue à la personne, elle est jouée.
Pour ma part, j’ai été très touchée par l’histoire de « Gentle Wind » placée bébé dans une famille où elle a été violemment maltraitée, jusqu’à ce qu’elle découvre jeune femme ses origines, grâce à une thérapie initiée pour lutter contre l’alcoolisme. Elle a alors compris d’où lui venait cette connexion si intime avec la nature. Elle aurait aimé s’appeler Hurricane (Ouragan), mais sa communauté a choisi pour elle, elle l’avait pressenti, « Gentle Wind » (Douce Brise ?). Elle qui avait perdu sa voix l’a retrouvée depuis et elle a entonné pour nous un émouvant chant indien.

J’ai choisi le 6ème et dernier atelier avec Jill Freedman pour deux raisons : d’abord parce qu’elle vient à Bordeaux en septembre 2015 pour notre prochaine masterclasse, ensuite parce qu’elle y abordait la question des discours et de la déconstruction. Ces discours qui sont invisibles mais qui semblent si réels que les gens s’y mesurent et s’efforcent de répondre aux standards, aux normes, aux injonctions (« should be’s »), et ont en permanence le sentiment d’échouer. Jill nous fait part de son expérience. Comme moi, elle est intellectuellement passionnée par la déconstruction des discours. Elle est de plus militante féministe. Cela l’a conduite au début à entraîner trop vite ses clients dans une critique frontale et experte des discours. Or les discours créent des espoirs. Ses clients se sont rebellés (surtout les hommes !) et ont refusé de la suivre. Il ne faut pas sous-estimer les discours ! Elle donne l’exemple de Michael White face à un couple où le mari souhaite plus d’intimité mais décide seul de tout. Plutôt que déconstruire le système patriarcal, Michael a dit : « Je ne pense pas que vous soyez à l’origine de ce mode de communication de couple », invitant ainsi gentiment l’homme à réfléchir au contexte culturel de ses relations de couple, sans questionner le discours en direct. Jill enseigne qu’il faut arriver à déconstruire, mais en restant aux côtés des gens, en marchant avec eux, sans confronter. Elle montre aussi que déconstruire n’est pas la panacée : un père, une mère et leur fils de 16 ans, mutique, viennent la voir car le fils veut brusquement arrêter le basket, sa passion. Jill entend des choses comme : on n’arrête pas ce que l’on a commencé, on ne prend pas des décisions impulsives, on doit être loyal à son équipe, on ne part pas sur un coup de tête, dans la vie il faut avoir du caractère, notre fils n’est pas du genre à abandonner, etc. Elle est tentée de déconstruire ces discours parentaux mais elle veut d’abord obtenir le point de vue du fils. Quand il se décide à parler, les parents découvrent que la décision de leur fils était en réalité motivée par le comportement raciste, et insupportable à ses yeux, de ses coéquipiers vis à vis d’un nouveau joueur et qu’il n’avait pas souhaité en parler, justement par loyauté pour l’équipe.

Les TC12 se terminent par un hommage rendu par Stephen Madigan à David Epston, à l’occasion de son anniversaire.

Pour conclure, je voudrais d’abord dire que je ne retranscris ici qu’un infime pourcentage de ce que j’ai entendu, passé par le filtre de ma subjectivité et de ma capacité de concentration et de compréhension en anglais. Je le regrette profondément. Je n’ai pour autre ambition qu’un simple témoignage, en mode narratif. Je regrette aussi d’avoir beaucoup tardé pour écrire ce compte-rendu ; j’ai eu besoin du temps des vacances.
Enfin, j’ai rencontré à Vancouver des gens qui côtoient les pratiques narratives depuis maintenant longtemps et qui ont intégré les idées à un haut niveau d’expertise et d’efficacité. Pourtant, si je repense au discours incitatif de David Epston en introduction et que je veux être honnête, j’ai trouvé à Vancouver plus d’hommages que d’avancées réelles. D’ailleurs, si je n’ai pas mal compris, il me semble que Linda Moxley et André Grégoire, tous deux canadiens, travaillent sur l’idée de « Re-curiositizing Narrative Practices ». Les moments que j’ai préférés, qui m’ont le plus transportée, ont finalement été deux démonstrations très politiques, le discours de Marcela Polanco et l’atelier Hip Hop de Travis et Paul, auquel j’ai assisté, sans que nous nous soyons consultés, avec Marcela et David, qui me donnait, ravi, des coups de coude dans les côtes en me disant : « These guys are great, aren’t they ?

10 réflexions au sujet de « “THESE GUYS ARE GREAT, AREN’T THEY ?” »

  1. Je suis touchée que vous ayez pris la peine de répondre ainsi. C’est en effet très éclairant, je vois mieux ce qui est en jeu. La traductrice en moi n’a pu s’empêcher de poser la question. Il me semble que cela rejoint l’idée qu’une communauté est experte de sa propre histoire, comme une personne l’est de sa vie. Merci encore Catherine, et merci à Pierre pour son anecdote savoureuse.

  2. eh bien Mélanie merci pour cette question qui a permis d’obtenir cette belle réponse ! Marcela Polanco, lorsqu’elle traduisait “Maps” en espagnol d’Amérique du Sud, disait à David Epston lorsqu’il lui demandait comment ça allait : “ça va bien, Gabo m’aide énormément !” Au bout d’un moment, David lui demande qui est ce Gabo et se rend compte avec confusion qu’il s’agissait de Gabriel Garcia Marquez. Marcela a fait son combat de la décolonisation des idées narratives de sa langue initiale, l’anglais, qu’elle assimile à une langue coloniale car dominante. Bonne journée,
    pierre

  3. Bonjour Mélanie
    Je veux bien essayer de dire comment je comprends cette phrase de Marcela, mais cela restera ma propre façon de l’interpréter, bien sûr.
    Je crois qu’elle veut dire que l’idée principale qu’elle souhaite retenir des travaux de Michael White est que chaque communauté, à l’endroit où elle vit et avec la culture locale, les compétences et les savoirs locaux, qu’elle a développés depuis des générations, doit inventer ses propres modèles de “soin des autres”. Il ne sert à rien (ou ce n’est pas suffisant) de traduire des procédés inventés dans d’autres cultures, qui n’ont rien à voir en matière d’appréhension du monde et des problèmes. Il vaut mieux réfléchir directement dans sa propre culture. Pire, la propension des cultures dites “riches” à s’imposer dans le monde entier a totalement discrédité les savoirs des pays dits “pauvres”. Chez elle par exemple, en Amérique du Sud, elle parle de ce mouvement littéraire, le réalisme magique, qui traduit ou illustre leurs façons préférées d’envisager le monde et de l’expliquer. C’est une philosophie de la vie à part entière, qu’elle semble avoir très envie de réhabiliter parce qu’il lui semble qu’elle est susceptible d’apporter plus de soutien à ses compatriotes qu’une approche venue des antipodes, aussi belle soit-elle.
    Traduire, c’est une étape, pour s’ouvrir à des idées nouvelles. Mais très rapidement, il faut poursuivre la réflexion dans sa propre langue donc dans sa propre civilisation, riche d’enseignements locaux. Et ce, d’autant plus quand on vit dans des pays ou des communautés fortement touchées (colonisés) par des discours et/ou des actes proférés par des plus puissants (en termes de force économique, idéologique, militaire). Ces discours et ces actes ont, en s’imposant, disqualifié les valeurs, les croyances, les espoirs, les compétences, les savoirs locaux, ils ont cassé le lien générationnel et le système de transmission des savoirs, ébranlant ou détruisant ainsi la capacité des gens à gérer leur propre vie.
    Voilà, je ne sais ce qu’en penserait Marcela, mais j’ai encore les larmes aux yeux en repensant à son témoignage, au nom de son peuple. Merci, Mélanie, de permettre à cette phrase de continuer à vivre .

  4. Merci beaucoup pour ce compte rendu passionnant ! Je découvre les pratiques narratives et entend bien poursuivre. Si c’est possible, pourriez-vous éclairer la phrase suivante (à propos de l’intervention de Marcela Polanco) : “D’après elle, traduire n’est pas le sujet ; traduire les idées narratives revient à participer à la colonisation des pauvres par les riches” ?

  5. Merci beaucoup pour vos commentaires. A bientôt de vous recroiser, plein d’occasions de le faire se dessinent pour les mois qui viennent en France.

  6. Merci Catherine, ta restitution me permet de renouer avec ces thèmes, chers à mon cœur, que j’aimai lorsque, plus jeune, j’étais en cours de philo…a me permet de comprendre pourquoi, aujourd’hui, je suis devenue praticienne narrative. Le fil d’Ariane devient de plus en plus lumineux et clair pour moi. Ces témoignages me touchent parce que mes racines familiales, savoir d’où je viens, c’est ce qui m’aide à embellir, donner du sens et faire vivre les liens familiaux avec mes enfants, mes neveux, ma maman, mes frères, mes cousins, cousines… mais aussi avec ma famille d’adoption, celle de mon mari. Pas plus tard, qu’hier, ma nièce me racontait comment la vision de son histoire familiale la rendait plus forte et l’aidait à développer ses talents musicaux…une histoire “mise en racine” par la musique … Merci Catherine

  7. Merci Catherine d’avoir pris ce temps pour partager généreusement et de manière très accessible tous ces beaux moments à Vancouver. C’est toujours passionnant pour moi de revisiter les Pratiques Narratives à travers des témoignages et des expériences de praticiens culturellement différents.
    J’ai trouvé particulièrement intéressant ton retour sur l’atelier de Linda Moxley qui, à travers la chronologie des formations de Michael White dans le temps, nous éclaire sur comment les idées et les concepts ont pris leur place petit à petit dans son travail.
    Et encore plus impatience après d’avoir lu de rencontrer Jill Freedman. Bise

  8. Quelle richesse,merci.J’ai été particulièrement sensible au paragraphe consacré à la psychiatre Nina Tejs Jorring; sans doute parce qu’elle converse avec les ados et leur famille , et qu’ils sont mes clients préférés! Il y a là de l’ordre du ‘prendre soin’ de la relation avec les familles qui peut-être prendront soin , différemment de leur enfant ou ado ? C’est un jeu de miroirs réfléchissants où tous les regards s’accordent et épaississent une histoire de bienveillance .

  9. Waou!! Superbe témoignage. Merci Catherine pour ce cadeau que tu nous fais. Quel beau récit qui vient épaissir nos histoires préférées de narratiens.
    Je t’embrasse. A très bientôt. Evelyne

  10. Je vous remercie pour ce témoignage qui m’accompagne dans ma découverte de l’approche narrative et renforce mon envie d’en découvrir encore plus.

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