Bienvenue dans la matrice

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Le film « Matrix » des frères Wachowsky décrivait un monde dirigé par des machines créées par l’homme mais qui avaient pris le dessus sur lui.

Afin de se procurer l’énergie nécessaire à leur alimentation, elles « cultivaient » l’espèce humaine dans des couveuses géantes et pour le maintenir en forme, projetaient dans son esprit… une histoire, celle que nous considérons ordinairement comme la réalité où nous avons un travail, un passé, des relations, une identité, des projets, des espoirs, etc.

Cela ne vous rappelle rien ? Michel Foucault était l’impitoyable prophète de l’histoire que nous avons créé pour oublier que nous sommes enfermés dans des couveuses géantes, notre énergie alimentant les machines économiques que nous avons créées et qui sont en train d’échapper à notre contrôle. Il avait tout vu, tout prévu. Il avait minutieusement décrit le basculement du rapport de forces, le glissement du pouvoir des Palais et des Eglises vers l’intérieur de notre esprit, un pouvoir fondé sur l’idée de normalité et sur l’auto-surveillance.


Il avait prévu l’espionnage généralisé de tous par des regards anonymes et évaluateurs, la généralisation des caméras de surveillance, le fait que nos vies soient découpées en séquences, chaque séquence objet de diagnostic et entreposée dans de multiples fichiers. Par contre, il y a un problème qu’il n’avait pas anticipé : notre résistance héroïque au fichage. Car nous détestons être fichés par le pouvoir. Nous considérons cela comme une atteinte à nos libertés et signons des pétitions pour protester contre les projets de fichiers systématiques. Nous aimons bien penser que le droit à l’intimité est l’un de nos acquis imprescriptibles, qui a résisté à toutes les inquisitions. Que nos préférences politiques, sexuelles, religieuses, les petites aspérités de notre vie de tous les jours, ce que nous faisons, pensons, ressentons appartient à une sphère d’où tout pouvoir est exclu car cela ne regarde que nous et nous appartient.

Pour réaliser la prédiction de Foucault, le rêve panoptique de Jeremy Bentham , pour aboutir à faire réellement de notre intimité une maison de verre où plus rien ne serait ignoré de personne, le plan serait de faire en sorte que les gens y aillent de propre chef, volontairement. Il faudrait trouver une forme de fichage qui leur paraisse acceptable. Et même peut-être enthousiasmante. Nous pourrions créer un effet de mode autour de la mise en fichier d’informations de nature sexuelle, religieuse et politique, une passion autour de la mise en scène et de l’exposition de la vie intime de l’individu, une mise en scène qui deviendrait un hobby, une forme de création artistique, un récit de soi adressé à un public invisible mais implicite. Il faudrait que des leaders d’opinion prennent publiquement position en faveur de cette pratique. Il faudrait que ce soit ludique et hyper cool. Il faudrait que ce soit gratuit. Il faudrait que ce soit parfaitement anodin et détaché des pouvoirs politiques des Etats, profitant de ces quelques années, de cette petite fenêtre de tir où le peuple n’est pas encore conscient que les Etats sont devenus des Airbags amortissant la violence du vrai pouvoir économique. Il y a une opportunité à présenter ce fichage volontaire comme un attribut de la normalité moderne. On pourrait même trouver un nom sympa tendance pour le rendre familier et l’intégrer à la vie des gens. Pourquoi pas quelque chose comme Facebook ?

6 réflexions au sujet de « Bienvenue dans la matrice »

  1. Bonjour Pierre,

    Pour les blogs, c’est différent à ton avis?

    amicalement,

    Catherine

  2. Que ce synchronicité ! Après avoir lu l’article de Pierre, je me suis dit : « Si Facebook avait existé en 1938, que se serait-il passé ? La résistance aurait-elle pu exister ?» … et je vois, Catherine, que nous sommes à nouveau avec les mêmes réflexions. Etonnant, non ? cdl Michèle Gauthier

  3. Il est trop tard.
    Supprimez vos comptes, mais les moteurs de recherche, automatisation du département des renseignements généraux en charge de garder copie de tout ce qui s’est passé, ont une copie de ces pages.
    Si vous n’avez pas trop peur, essayez http://www.cvgadget.com/search.php?firstname=pierre&lastname=blanc-sahnoun

    Catherine, je ne vous connais pas, mais êtes vous celle qui travaille au Laboratoire de Virologie du CHU de. Toulouse ?
    (http://www.cvgadget.com/search.php?firstname=Catherine&lastname=Mengelle)

    Stéphane, il semblerait que vous pratiquiez le coaching.

    Tiens, il ne m’a même pas fallu plus de 20 secondes pour apprendre tout cela…

  4. C’est drôle. Juste avant de recevoir ton nouvel article, je venais juste de supprimer mon compte Viadeo. Sacrilège ! Que mes quelques contacts ne s’en émeuvent pas, ce n’était pas un geste contre eux !

    Pour en ajouter, ce matin, j’ai commencé à lire “La vie d’Irène Némirovsky”, biographie de l’écrivain morte l’été 42 un mois après son entrée à Auschwitz où elle était arrivée en wagon fermé au milieu d’une centaine d’autres femmes survivant au voyage.
    Extrait du prologue : “Depuis quelques semaines, on arrête aussi les femmes et les enfants. Tâche d’autant plus facile que tous ou presque se sont déclarés aux autorités : que risquait-on en France à être en règle avec la loi ?”

    Je suis en train de comprendre que c’est parce que j’ai lu cela ce matin que je suis enfin parvenue à supprimer mon compte viadeo. Je suis très touchée par la synchronisation avec cet article.

  5. Bonjour Pierre,

    En écho à votre post du jour je voudrais signaler l’exposition à venir de Gérard Gasiorowzki à la galerie Maeght de Paris du 19 mars au 10 mai prochains.
    Disparu en 1986 à l’âge de 56 ans et encore aujourd’hui méconnu du grand public Gérard Gasiorowski a tenté de dénoncer à travers son oeuvre “une collectivité (les artistes peintre alors reconnus et influents) qui, acceptant d’être véhiculée par le milieu de l’art, prenait le risque de sombrer dans un académisme primaire et un travail de production intense.”
    Pour ce faire il a créé à l’intérieur de son oeuvre plusieurs fictions ou vraies fausses histoires de la peinture comme “La Guerre” ou “l’Académie Worosis-Kiga” (anagramme de son nom) qui sera justement présentée à la Galerie Maeght.
    Tout comme Matrix, il me semble qu’une telle démarche devrait intéresser tous les passionnés des pratiques narratives.
    http://www.maeght.com/galeries/exposition_detail.asp?id_galerie=1&id_exposition=39

    Cordialement

    Stéphane Einhorn

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