Bonjour chez vous

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La mort de Patrick McGoohan nous donne l’occasion de nous repencher sur “The prisoner” et de réaliser à quel point cette série TV cultissime d’il y a 40 ans était puissamment visionnaire et prémonitoire.

17 épisodes seulement et pourtant, tout était dit sur le pouvoir moderne. Ancien agent secret souhaitant démissionner, Patrick McGoohan se retrouve prisonnier d’un village, version mitteleuropa déjantée du “Truman Show”, où tout le monde est jovial, se consacre à des activités de loisirs sociales et anodines, porte des canotiers et des vestes à galons, et parle uniquement de la pluie et du beau temps. Des haut-parleurs et des radios branchés en permanence diffusent des résultats de tombolas, des bulletins météo et de la musique militaire.

Mais des caméras omniprésentes (planquées notamment dans les yeux des statues !) retransmettent les moindres faits et gestes des “villageois” vers une salle de contrôle ultra-sophistiquée où de mystérieux surveillants exercent le pouvoir dans l’ombre à la recherche de la moindre déviance, du moindre comportement anormal.

Le pouvoir moderne, rappelons-le, est un concept central de la philosophie du pouvoir de Michel Foucault, repris par Michael White qui en a fait l’un des piliers de l’approche narrative et le fondement de sa dimension politique. Là où le pouvoir classique est exercé de l’extérieur par la coercition et la répression, le pouvoir moderne est exercé de l’intérieur par l’individu lui-même, invité à s’auto-contrôler, s’auto-évaluer et s’auto-surveiller en permanence. Le pouvoir classique est fondé sur la loi, le pouvoir moderne sur la norme.

Le village offre toutes les apparences débonnaires d’un lieu où chacun fait-fait-fait ce qui lui plaît-plaît-plaît mais à condition de ne jamais chercher à comprendre le fonctionnement du système et sa finalité, ni surtout à qui il profite. C’est cette quête obsessionnelle du “N°1” à travers ses sbires, les “N°2” qui changent à chaque épisode, qui fait de McGoohan l’ennemi public, mais que l’on traite comme un malade qui a des difficultés à s’adapter plutôt que comme un rebelle qu’il faudrait punir. Aussi, son antienne : “je ne suis pas un numéro !” et ses multiples tentatives d’évasion se heurtent-t-elles à la bienveillance professionnelle des psys qui le soumettent sans succès à des traitement hypnotiques et médicamenteux.

Plusieurs fois, il parvient presque à échapper aux limites de cette station balnéaire schizophrénique mais se heurte à une mystérieuse et invincible bulle, gardienne des frontières, qui se plaque à lui comme un lymphocyte afin de l’étouffer. En dernier recours, c’est la maîtrise technologique qui garantit l’ordre social.

Pas mal, non, pour un feuilleton TV de 1968… Parano, mais bien vu. Car ne nous y trompons pas, notre monde était prévisible. Un tas de gens ont essayé depuis 50 ans de dire, de prévenir, de lutter. Mais les prévisions, les prémonitions, les luttes, tout ceci a été disqualifié et rendu ridicule par le récit dominant. Nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, dirigé par des dirigeants débonnaires et clairvoyants, Numéros 2 provisoires qui s’agitent dans la lumière et dont d’invisibles Numéros 1 tirent les ficelles. Nous sommes libres de conduire librement nos voiturettes de golf dans les limites du village et de nous livrer aux activités qui ont été prévues pour nous. “The prisoner”, “Matrix” et quelques autres essaient de nous dire quelque chose d’important sur notre vie individuelle et communautaire, mais tant d’autres choses ont été prévues pour détourner notre attention que nous oublions sans cesse ces idées tordues. Bonjour chez vous !

3 réflexions au sujet de « Bonjour chez vous »

  1. Mais oui Philippe, tu as raison, je n’avais jamais réalisé à quel point “le prisonnier” est Phildickien. Cela me fait penser au “Dieu venu du Centaure” où Palmer Eldritch revient inexorablement imprégner une réalité aux niveaux multiples, comme des cauchemars emboîtés.

  2. Merci Pierre pour cette réflexion. C’est avec une certaine mélancolie que j’ai appris la disparition de Patrick Mc Gohan qui lors de mes jeunes années a su montrer au travers de ces 17 épisodes l’importance d’être libre, et libre de penser. Etre dans le monde mais en gardant son libre arbitre, je ne peux m’empêcher de citer Jorges luis Borges qui disait qu'”être quelque chose c’est inexorablement n’être pas tout le reste” . Résister aux pressions que la Société nous inflige (P.K. Dick et Ubick l’entrevoyait déjà si bien également).

    C’est peut être pourquoi aujourd’hui je roule en “Seven” et que j’essaye d’être un homme libre mais de bonnes moeurs!

  3. Open Space – Open Mind – Open your eyes ! et puis quoi encore ?

    Le pouvoir moderne ou auto contrôle ?

    Associations libres sur d’autres œuvres en vrac:

    L’âge de cristal : série US diffusée en 1978 en France sur Antenne 2 (ça ne nous rajeunit pas !): ou l’homme est plus proche de la Saline que de l’Alcaline.
    Encore une histoire de Pile, ou l’humanité perd la Face !
    Age de mort programmé : trente ans, à moins de renaître dans le mystique rituel du Carrousel. La vie existerait-elle donc en dehors des dômes isolés de la vraie vie, cités où l’homme ne fait plus que prendre plaisir.
    Thanatos ou Eros, What else ?
    Il est question de s’évader, mais de quoi ?

    Le meilleur de mondes d’Aldous Huxley : Paru en 1932 Le titre original du roman, Brave New World, Une société utopiste, état totalitaire ou le monde est viscéralement anesthésié par le progrès global, et le Soma (psychotrope du bonheur).
    On est bien placé au box office de cette consommation en France, non ?

    Farenheit 451 : (1953) roman de Ray Bradbury.
    Une société déshumanisée, macabre, ou le bonheur est synonyme d’échec.
    ‘Regarde le monde, il est plus extraordinaire que tous les rêves fabriqués ou achetés en usine.’ Bradbury

    Je pense aussi aux 3 lois de la robotique d’ Isaac Azimov, et Brazil , Blade Runner, …et encore…

    Hal ? Super ordinateur de bord dans le film 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick capable de jugement, et d’émotions ?
    Quand un membre de l’équipage obligé de déconnecter l’ordinateur du vaisseau, ne lui laissant que les fonctions indispensables au pilotage, supprime sa personnalité.

    HAL dit « j’ai peur ». Info ou intox ?

    Le vrai pouvoir moderne ce serait quoi ?
    Être à soi ? S’auto-Normer ? …

    Bonjour chez vous ! 😉

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