Un “coup de gueule”

Par Catherine Mengelle
www.dclictonavenir.com

Une tribune subjective, un brin totalisante et volontairement partiale qui interroge le contexte sous-jacent au recrutement dans certaines entreprises aujourd’hui… L’indignation de l’auteur donne à voir en absent-mais-implicite les valeurs de courage, d’honnêteté et de respect dans lesquelles elle est engagée.

Emploi et compétence, illusion et colère

Cet article, écrit sous le coup de la colère, force le trait et provoque à chaque ligne.

C’est une forme de rébellion contre des systèmes que personne ne remet jamais en cause. C’est aussi le reflet de la détresse que je croise régulièrement dans mon travail et un questionnement sur ma responsabilité d’accompagnante. Je sais que le ton employé est généralisateur et qu’il y a aussi des entreprises et des personnes qui ne ressemblent en rien à ce que je décris et ne font pas parler d’elles, peu soucieuses de médiatiser leur réussites. Tant mieux. Cet article leur rend aussi un véritable hommage.

L’emploi a si peu à voir avec les compétences en définitive…
… sauf avec une, mais de taille : la capacité à créer du lien social ciblé et efficace professionnellement.

La plupart des entreprises sont gérées par une foule de gens somme toute assez moyennement compétents, rarement à leur place d’ailleurs, sans que cela ait jamais empêché les entreprises de tourner, bon an mal an. Il n’y a pas vraiment besoin de compétences dans l’entreprise : c’est une illusion, et une énorme déception pour tous ceux qui ont privilégié savoirs et expériences au détriment du réseau, sans réaliser suffisamment tôt que le besoin n’existait pas en fait. Les entreprises surfent sur des opportunités économiques conjoncturelles et croient (et veulent nous faire croire) qu’elles le doivent à leurs compétences stratégiques et managériales : cela signifierait qu’elles seraient capables de s’adapter aux changements, d’anticiper, d’innover et de changer de cap. La crise actuelle me permet d’en douter !
Cela ne me choque pas particulièrement.

Ce qui me choque, c’est l’accord tacite général pour se convaincre du contraire… et jouer à faire semblant.
Recruteurs de tout ordre, accompagnants, managers, dirigeants, intervenants de l’enseignement supérieur continuent d’exiger de la part de ceux qui sont en recherche d’emploi des arsenaux démesurés de compétences, souvent totalement inadaptées aux postes proposés. Inadaptation sans gravité ni conséquence majeure pour l’entreprise, puisque, de toute façon, le choix ne se fera pas sur ces compétences. Tous ont toute liberté d’invoquer n’importe quoi et toujours plus, et de se faire “mousser”. Personne ne sait de quelles compétences l’entreprise aurait besoin, si elle le voulait réellement, et cela n’a pas d’importance. Recruter, c’est faire de la “com” et souvent de la “com perso” !

En période de crise, cette exigence devient indécente.
Pourquoi exiger tant de compétences sur un CV quand lors de l’entretien, le choix portera finalement sur le candidat qui ne fera pas d’ombre et se glissera dans la structure sans faire de vague ? Combien sont-ils, les managers vraiment intéressés par le risque de l’expertise, de la contradiction, de la discussion, de la proposition innovante ? Et pourquoi le seraient-ils, de surcroît ? Qui, parmi tous ceux qui sont en poste, a une réelle pensée pour celui ou celle qui passe des heures à réfléchir sur ses compétences, à décrypter chacune de ses expériences, à tout mettre en forme, à argumenter, à démontrer, à essayer de s’en convaincre et d’en convaincre les autres, et tout ça en vain ? Il y a pourtant probablement aujourd’hui, parmi les chômeurs, des gens plus compétents que nombre de ceux qui travaillent.

Aujourd’hui, ce n’est pas de compétences dont on a besoin, mais d’offres d’emploi !
Quand les acteurs du recrutement continuent, en période de crise, de baser le retour à l’emploi sur les compétences, ils contribuent fortement, croyant faire le contraire, à éteindre la dernière petite lueur d’estime de soi des chômeurs, qui, ne trouvant pas d’emploi (puisqu’il n’y en a pas !) malgré leurs compétences, épaississent leur histoire dominante d’incompétence (puisqu’ils ont perdu leur emploi et n’en retrouvent pas). Il faudrait déconstruire l’histoire convenue qui soupçonne le chercheur d’emploi qui ne trouve pas, de compétences insuffisantes ou inadaptées. On ne perd pas un boulot parce qu’on est incompétent, mais pour des raisons économiques, des raisons de choix financiers, de santé, de difficultés relationnelles ponctuelles, parce qu’on a suivi son partenaire et déménagé, etc. Pour les mêmes raisons, ce n’est pas parce qu’on est compétent qu’on retrouve un travail ! La seule incompétence du demandeur d’emploi pourrait être son défaut de réseau social et professionnel. Mais ce n’est pas une preuve d’incapacité à travailler, loin de là. Nous avons tendance à tout confondre, de nos jours. En plus, dans la longue liste des compétences généralement exigées sur un profil de poste, personne ne peut jamais s’y retrouver complètement : il manque toujours un petit quelque chose… qui permet au recruteur de justifier le refus dans tous les cas et sans trop d’état d’âme. C’est “foireux” et manipulateur !

4 réflexions au sujet de « Un “coup de gueule” »

  1. Envie de revenir sur ce coup de gueule, adoucie.
    Je revois une petite fille qui voulait tout faire mieux que les garçons, monter aux arbres, s’envoler dans les airs emportée par l’élan d’une balançoire, jouer au tarot, plonger, skier, escalader, etc. Cette image d’une petite fille audacieuse, maligne et espiègle et celle de mon grand-père déporté racontant malicieusement son retour d’Allemagne dans une voiture qui ne tournait qu’à gauche, me portent mille fois plus que l’idée d’égrener les compétences que j’ai acquises dans mon dernier poste de direction, pourtant quitté, en dépit de ces compétences, sur une négociation douloureuse en effet. Les personnes que j’accompagne aujourd’hui n’ont pas en général été volontaires pour quitter leur dernier emploi, non plus.

  2. Bon je suis … dubitative,cet emportement doit faire résonner une histoire bien difficile? Raisonnons simplement sur la confiance que nous faisons aux hommes citoyens( ils en existent) qui avant d’avoir un profil devant eux, parlent à une personne et de cette mini histoire naissante peut grandir des HISTOIRES d’entreprises.

    Bien sûr , accablons le système, l’école, les lois mais les hommes? je n’ai pas ete salariée pendant 15 ans,la “recruteuse” me dit” cela fait longtemps que vous ne travailler pas” évidemment, mais qui suis je aujourd’hui ? MADAME, une personne bien heureuse de ne jamais travailler avec vous, dommage pour vous. Je l’ai revue plus tard, elle m’a remerciée.

  3. Il est certain que bien des recruteurs, sûrement par incompétence (il n’y a pas de raison qu’ils échappent à cela), ne savent recruter, pour un poste, que ceux qui ont exercé le même métier depuis des années, n’ont pas eu de période d’interruption, ont acquis au bon âge les bons diplômes, témoignant de leur capacité à ternir le poste.

    Il faut les blâmer de ne pas savoir prendre de risque, de ne pas savoir vendre à leur donneur d’ordre, ou client, une capacité à réussir et de se retrancher derrière la preuve par 9 qu’ils ont choisi le bon candidat.

    Je me souviens du temps où j’étais ainsi.

    Nous pourrions aussi blâmer le système qui ne permet pas de donner sa chance au candidat ‘atypique’, selon ces critères. Ce système, c’est celui qui fait qu’une embauche ratée est un échec total : impossible ou coûteux, pour l’entreprise, de se séparer de sa nouvelle recrue, risque pour le manager de se voir reprocher sa prise de risque, autant par ses équipes que par ses chefs, risque pour ce même manager de ne pas supporter de renvoyer à la case départ cet ex-chômeur, risque pour ce futur chômeur de ne pas supporter cet échec supplémentaire.

    Tant que la rupture sera un acte aussi difficile, l’embauche le restera aussi. Tout le monde a trop à perdre à se tromper pour prendre un risque, et la seule preuve qu’un candidat saura apporter qu’il saura faire est qu’il a déjà fait.

    Que le recruteur se justifie finalement lâchement n’est qu’un épiphénomène. Le problème me semble être l’incapacité qu’à notre société à accompagner ses citoyens dans un monde qui s’accélère, tant par un système éducatif sclérosé, un droit du travail sclérosé, des valeurs sclérosées.

    Malheureusement, c’est la loterie qui décide de qui devient et reste chômeur, ce n’est pas la justice. L’ex-récente-chômeuse-heureuse-d-avoir-trouvé-après-8-ans d-arrêt-et-2-ans-de-recherche qui partage ma vie saurait en témoigner.
    J’ai plus de mal à blâmer le recruteur et l’entrepreneur dans ce domaine que le législateur qui, dans le souhait de bien faire, a tellement rendu la fin de contrat impossible qu’il en a fait devenir le début de contrat un parcours du combattant.

  4. Et justement les formules de bilan et évaluation des compétences, très normées, font florès… Dans quelques années, alors que nous serons parvenus à cloner les humains, nous serons tous à la retraite et enverrons travailler des clones de chaque entreprise, sans cesse renouvelés. Plus de bilans mais des balances pour produire et vendre ses clones à la pesée, sur des marchés virtuels, tandis que nous serons au vert ! Un peu de patience… On y est presque !

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