La pratique de l’anglais, grande question pour le praticien narratif français… et une occasion aussi, comme nous le montre Natacha avec humour, d’explorer des histoires riches personnelles et culturelles.
Depuis des années, je me fais le reproche de ne pas être à l’aise en anglais, de ne pas pouvoir travailler ou communiquer en anglais alors que j’ai eu dans ma vie toutes les facilités pour le faire, toutes les conditions pour être fluent ! Longtemps j’ai accusé mon manque de talent et d’obscurs blocages venus du fond de mon inconscient tortueux. C’est une conversation narrative avec un ami qui a permis à une autre de histoire d’être enfin entendue.
Enfant, j’étais scolarisée dans une école internationale fréquentée par des enfants d’élus, d’artistes, de diplomates, de scientifiques. C’était très difficile pour moi de m’insérer compte tenu de la différence de niveau social et culturel. Je faisais un peu le grand écart tous les jours.
En secondaire, il y avait 6 niveaux d’anglais, j’étais dans le groupe 3, pour vous dire que ce n’était pas complètement la catastrophe, le groupe 6 étant destiné aux étrangers bilingues et aux anglophones.
En 5éme, pour des raisons trop longues à expliquer ici, je me suis retrouvée dans la classe des anglophones, avec presque toutes les matières en anglais en compagnie des étrangers (polonais, afghans, canadiens, suédois…) et une forte majorité d’américains. J’étais l’intruse, mais nous avons très vite créé des alliances en particulier pour traiter les thèmes et les versions. Dans cette position décalée, j’ai pris conscience de la très forte influence de la culture américaine dans l’école, dans une période (les années 70) où les Etats Unis répandaient leur domination sur le monde.
Mon histoire de problème avec l’anglais a pris une tournure radicale cette année là puisque j’ai pris la décision, qui va vous sembler absurde, de ne pas parler anglais. Mes camarades me parlaient anglais, je leur répondais en français et tout le monde s’en arrangeait. Avais-je l’intention de les aider dans leur pratique du français ? Sans doute et j’avais surtout le désir que les américains fassent un pas vers ma langue.
J’étais également dans une difficulté terrible de devoir parler un anglais parfait avec des gens que je n’arriverai jamais à égaler.
Depuis, j’évite tant que possible l’anglais. J’ai compris que le problème que j’entretiens avec cette langue est né d’une solution que j’ai trouvée à 11 ans pour honorer mon identité à un moment où elle était par ailleurs très menacée dans ma vie personnelle. Aujourd’hui, cette relation particulière à l’anglais m’empêche de faire des choses très importantes pour moi comme communiquer, apprendre à travers le monde et être dans l’ouverture à l’autre qui me tient tant à coeur. En sortant de l’histoire dominante « je suis nulle en anglais » pour accueillir une histoire alternatives de fierté et de résistance, je peux à présent tenter une réconciliation.
Pour m’aider, je pose un regard diffèrent sur l’anglais qui n’est pas une langue comme les autre pour nos générations. Elle est devenue une langue de domination culturelle qui a réussi à s’imposer et se réclame « internationale ». Un jour, une autre prendra sa place pour étoffer la liste des anciennes langues colonialistes comme le latin, qui après son heure de gloire, n’est plus parlé en dehors du Vatican. Parlerons-nous un jour l’espéranto ? Pour l’instant c’est le globish qui s’installe.
L’anglais par « sa carrière internationale » évolue et doit assumer son statut de langue véhiculaire (1) et pour cela se simplifier pour être utilisable par le plus grand nombre. Il suffit d’écouter une conversation entre un Indien, un Allemand, un Italien et un Français pour constater que cette langue du business et du voyage a déjà sa propre vie. Le globish (2) est un anglais véhiculaire qui n’a plus grand chose à voir avec la beauté et la subtilité de la langue de Shakespeare. Le comble, il n’est parfois plus compris par les anglophones !
Le résultat de cette conversation narrative est nouvel espoir d’ouverture. J’ai recommencé à converser en anglais et j’ai pris un professeur qui accepte mon objectif qui n’est plus de parler un anglais parfait, mais un anglais qui me permette de communiquer. Je peux ainsi accepter les imperfections et ne plus rougir de mon accent (so sexy !). Je sors de la honte pour aller revendiquer que parler anglais est un honneur, et un cadeau que je fais à mes interlocuteurs pour partager le plaisir d’échanger avec eux.
Notes
1 Une langue véhiculaire est une langue, souvent simplifiée, servant de moyen de communication entre populations de langues différentes. Elle s’oppose à la langue vernaculaire, parlée localement par une population.
(swahili, malais, russe, mandarin…).
2 Le globish (mot-valise combinant global et English) est une version simplifiée de l’anglais n’utilisant que les mots et les expressions les plus communs de cette langue. C’est le jargon utilisé par des locuteurs de diverses autres langues quand ils veulent communiquer en anglais
Merci ! merci pour vos réponses, vos encouragements et vos enrichissements.
Je viens d’apprendre que les chinois sont très intéressés par l’espéranto. Certains l’apprennent pour mieux communiquer en Europe. N’est-ce pas extraordinaire ?
La vie des peuples est pleine de surprises et de rebondissements.
Rien ne se perd, tout se transforme.
Amitiés
comme par hasard …
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Francophonie/p-23511-Le-tout-anglais-dans-le-doute.htm
cet article fait écho …
Chère Natacha,
Quelle belle résistance en effet contre la langue dominante !
Je trouve qu’elle mériterait une jolie médaille, avec :
– une inscription honorant et reconnaissant les services rendus sous l’occupation
– la date de début (ton année de 5ème) et la date de fin… : pourquoi pas le 11 novembre 2012 ?
Merci, Natacha, de la simplicité de ton témoignage qui ouvre sur la pédagogie et contextualise une problématique socio-culturelle dans laquelle se trouvent enfermées des generations ( et la majorité de notre personnel politique gauche ou droite:) Effectivement, un autre regard qui sait mettre en valeur d’autres aspects que la simple performance linguistique….suffit à résoudre ladite. Et une actualisation aussi de la performance globishtique, le tout étant de se sentir à l’aise diront les business men de toutes nationalités que nous croisons en coaching. Moi, j’écoute la BBC quand je veux vraiment entendre de l’anglais!
Globishly excellent !
Es-tu prête à traduire aussi ? A bientôt Natacha !